La correction des taux en zone euro révèle la fragilité des marchés

Le violent mouvement de vente des Bunds, que les hedge funds ont alimenté, traduit les déséquilibres dus au QE et à la raréfaction de la liquidité.
Alexandre Garabedian

Fin avril, certains stratégistes le voyaient tomber sous zéro avant l’été. Hier, le rendement allemand à 10 ans est repassé au-dessus des 0,70%, tandis que sa volatilité implicite, triplée en trois semaines, atteignait un nouveau sommet. Beaucoup de raisons sont avancées pour expliquer le violent mouvement de vente qui affecte les emprunts d’Etat, sans toujours convaincre : amélioration des perspectives d’inflation et de croissance en zone euro, crise grecque, offre nette de dette souveraine plus élevée en mai…

Les avis convergent davantage lorsqu’il s’agit d’analyser ce que cette correction révèle: un marché moins liquide et «plus binaire», selon Alberto Gallo, stratégiste chez RBS.

«Il devient de plus en plus clair, ces deux dernières années, que la combinaison d’une liquidité monétaire élevée (politique de taux zéro, QE) et d’une liquidité de trading faible (régulation et contraintes en capital des banques) crée des trous d’air. La première encourage les investisseurs à se déplacer dans la même direction, jusqu’à la surchauffe, puis la seconde cause des problèmes lorsque tous veulent s’alléger en même temps», relève Jim Reid, stratégiste de Deutsche Bank. Depuis l’annonce en janvier par la BCE du lancement de son programme d’achats, les investisseurs s'étaient rués sur la dette d’Etat, allant chercher des maturités de plus en plus longues à mesure que les rendements diminuaient.

Quel élément les a incités à retourner leurs positions ? Sur le plan fondamental, rien ne semble justifier un tel krach. D’un point de vue technique, plusieurs professionnels s’interrogent sur le rôle des hedge funds. «Le mouvement de vente qui a débuté la deuxième moitié d’avril coïncide avec le moment où les fonds d’arbitrage CTA ont réduit leur allocation au fixed income», notent les analystes de RBS. «Les gérants de hedge funds macro ont accru leurs positions courtes sur les taux d’intérêt européens», corrobore Philippe Ferreira, responsable de la recherche managed account chez Lyxor AM.

Les questions sur le rôle des fonds d’arbitrage ont le mérite de déplacer le projecteur sur deux éléments moteurs de la correction: le marché des futures de taux, terrain de jeu privilégié des hedge funds, et la volatilité. Selon plusieurs professionnels des marchés, les volumes de vente sont restés limités sur le cash, où la liquidité est faible, et le gros des paris à la hausse des rendements s’est fait par le biais des futures.

Or, ce marché des futures souffre lui-même d’une liquidité déclinante. Dans une note publiée le 8 mai, JPMorgan relève qu’il était encore possible de traiter 100 contrats futures sur le Bund 30 ans sans faire bouger les prix; ce nombre était tombé à 20 la semaine dernière. «L’une des raisons de cette détérioration vient peut-être de la contraction du marché du repo allemand de 30% en cinq ans, indique Nikolaos Panigirtzoglou, chez JPMorgan. Le retrait net de collatéral Bund en raison du QE et des moindres émissions de l’Allemagne rend probable la poursuite de la contraction du marché du repo, voire son intensification, ce qui nuira encore un peu plus à la liquidité».

Le pendant de cette faible profondeur du marché est une volatilité accrue. Celle-ci peut faire sauter les modèles de value-at-risk (VaR) utilisés par les hedge funds, les courtiers ou les banques. La VaR mesure la perte probable sur une certaine durée et pour un intervalle de confiance donné. «Les investisseurs qui ciblent une VaR stable ont tendance à prendre des positions plus grandes quand la volatilité s’effondre. Les mêmes sont obligés de couper leurs positions en cas de choc. Cela déclenche un mouvement de vente, lié à la volatilité, qui s’autoalimente, jusqu’à ce que les rendements atteignent un niveau poussant des investisseurs insensibles à la VaR, comme les fonds de pension ou les assureurs, à entrer sur le marché», explique Nikolaos Panigirtzoglou. Selon ce dernier, les futures sur Bund ont été au centre de ce «choc de VaR, qui rappelle ceux d’octobre 2014 sur les Treasuries et d’avril 2013 sur les taux japonais».

Pour l’analyste de JPMorgan comme pour ceux de RBS, le poids relatif croissant des hedge funds et des gérants d’actifs par rapport aux assureurs et fonds de pension est un facteur de fragilité du marché. Et «l’une des conséquences non voulues du QE est une fréquence plus élevée d’épisodes de volatilité ou de chocs de VaR», insiste Nikolaos Panigirtzoglou. Comme les précédents, ce mouvement violent intervient dans un contexte plutôt favorable, et est considéré comme temporaire. Mais que se passerait-il si un tel choc survenait dans un marché déprimé, comme fin 2008 ? «Ce serait le chaos», craint Jim Reid.

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