
L’assurance joue collectif

Il y a à peine deux ans et demi, 7 % des Français seulement jugeaient le secteur des assurances innovant et ils n’étaient que 16 % à estimer que les assureurs avaient entamé leur transformation digitale, selon un sondage réalisé par le cabinet d’études YouGov. Loin de cette image un peu poussiéreuse, compagnies et mutuelles vivent aujourd’hui une révolution. Nouveaux produits, nouveaux services et nouvelles organisations : les marketers, développeurs, UX designers mais aussi les actuaires, souscripteurs, et parfois même les clients sont mis à contribution pour inventer, ensemble, l’assurance de demain.
C’est ainsi qu’après un mois et demi de gestation est né Hector, l’assistant vocal d’Amaguiz, marque d’assurance en ligne de Groupama. Grâce à lui, l’internaute peut rapidement obtenir un tarif d’assurance habitation en s’adressant directement à sa « Google Home » ou son smartphone. « Nous cherchons en permanence des idées pour améliorer l’expérience client, commente Romain Villain, responsable marketing, partenariats et expérience client. Le parcours doit être le plus simple et intuitif possible et adapté aux nouveaux usages. »
Du coup, les conseillers, « marketeurs » et UX designers (en charge de l’expérience utilisateur), l’œil rivé sur l’indice de recommandation accessible sur leur poste de travail, s’interrogent : le client est-il satisfait de son parcours sur le site ? Comment peut-on l’améliorer ? Le pôle satisfaction client partage, lors d’ateliers avec les salariés, les verbatim des utilisateurs. Tandis que le marketing et l’informatique (IT) se retrouvent en workshop de 6 à 8 personnes pour inventer de nouveaux parcours client.
C’est lors d’un de ces ateliers, organisé en avril 2018, qu’Hector a été conçu. La mission présentée par Romain Villain consistait à permettre à de futurs clients d’obtenir un tarif d’assurance en moins de deux minutes. Une solution qui pouvait, selon le responsable IT, passer par l’Assistant Google. Une application simple à mettre en place et dans l’air du temps, puisque, d’ici à 2020, un tiers des recherches sur Internet en France seront vocales, dixit Google. A la fin de la réunion, un développeur et un marketeur se sont mis au travail, avec une contrainte de taille : le nouveau service devait être lancé dans les deux mois. Il ne leur a fallu que six semaines. L’écriture du code a pris dix jours, avant qu’un panel de salariés (conseiller, gestionnaire sinistre, marketeur, développeur) teste le prototype. Enfin, le service informatique a soumis son cahier des charges à Google.
Le groupe au complet
Chez Gras Savoye Willis Towers Watson, la technologie a plus que jamais besoin des salariés, comme en témoigne l’équipe risk & analytics. Celle-ci s’appuie sur la collecte et l’analyse des données d’une entreprise (chiffre d’affaires et historique) pour réaliser une cartographie précise de ses risques et proposer des solutions sur mesure pour les couvrir. Cette exploitation du big data repose sur une démarche collaborative. Pour Jean-Christophe Lapeyre, responsable de cette équipe de dix-huit personnes, « le plus innovant, c’est l’approche. Nous avons réuni, dans une même entité, des actuaires, des experts en IARD (incendie, accidents, risques divers), des professionnels du risque et des spécialistes en financement. Ils excellaient tous dans leur domaine mais n’avaient jamais travaillé ensemble. Ce qui fait le succès l’équipe, c’est qu’elle fonctionne en mode projet. »
Ce sont toujours des binômes qui se rendent chez le client (un spécialiste de la cartographie des risques et un actuaire IARD par exemple). « Deux sensibilités pour avoir une meilleure perception du besoin client », explique le responsable. Tous les rapports sont relus par deux personnes avant d’être envoyés aux clients. Enfin, le groupe au complet se réunit tous les quinze jours pour échanger sur les dossiers et sujets en cours.
Est-il facile de faire communiquer des experts entre eux ? « Nous nous sommes appuyés sur des personnes possédant de grandes qualités, à l’instar de l’actuaire responsable du IARD, qui a un talent de vulgarisation, répond Jean-Christophe Lapeyre. Toutes ont immédiatement compris l’intérêt de cette approche collective. Nous sommes par ailleurs très vigilants dans nos recrutements. La qualité d’écoute est essentielle, tandis que la technique peut s’acquérir. » De fait, des profils généralistes, diplômés d’HEC ou des Arts et Métiers, ont été embauchés au cours des derniers mois. Pour ne pas déroger à la règle, la décision a, bien sûr, été collégiale.
Le produit d’assurance paramétrique Fizzy, qui couvre les retards d’avions, est un autre exemple de ces processus d’innovation à plusieurs mains. L’histoire de ce produit Axa reposant sur la technologie blockchain commence à l’été 2016, avec l’arrivée d’un nouveau responsable innovation pour le groupe. « Au cours des années précédentes, nous avions été familiarisés avec les nouveaux outils et la culture de l’innovation, raconte Laurent Benichou, responsable R&D chez Axa Next (voir ci-dessus). Nous sommes alors passés des projets à leur réalisation. » Deux mois plus tard, il se voit confier la mission de créer un produit utilisant cette technologie, avec une équipe composée de deux développeurs et d’un UX designer.
« Certains assurés s’énervent contre la longueur et la complexité des procédures de remboursement. Cela peut créer de la méfiance. L’assurance paramétrique* et la blockchain permettent d’instaurer une relation de confiance et d’accélérer l’action d’indemnisation », explique le responsable R&D, père de Fizzy. Quand un client s’assure, son achat est inscrit dans une blockchain. Si l’avion arrive avec deux heures et deux minutes de retard, l’assuré est dédommagé. S’il a une heure et 58 minutes de retard, il ne l’est pas. C’est une donnée neutre qui déclenche ou non le remboursement. L’expert n’intervient pas, l’indemnité est versée sur le compte de l’assuré sous deux jours, les choses vont plus vite.
Innovathons
Pour réaliser l’idée de Laurent Benichou, les data scientists de l’entité Axa Global Parametrics ont proposé de tarifer le risque à la condition qu’il leur fournisse un jeu de data et qu’ils soient associés à la réussite du projet. En parallèle, les développeurs ont créé le code pour automatiser les tâches. Il a aussi fallu convaincre l’entité IPA, détentrice de la licence d’assurance, de couvrir les risques sur ce nouveau produit, avant que Fizzy puisse enfin voir le jour, le 13 septembre 2017.
Les innovations passent aussi par des challenges dédiés. Et les solutions apportées ne sont pas toutes digitales. En 2016, par exemple, le thème de l’« Innovathon » annuel d’Allianz était la santé. Pour ces événements, « nous lançons, en amont, un appel à candidatures en interne. Nous retenons en général 25 collaborateurs et faisons ensuite appel à des personnes externes : agents généraux, entreprises partenaires (des start-up) et des clients », explique Julien Martinez, directeur de la stratégie des projets innovants d’Allianz France. Le 3 février, les candidats ont découvert le problème à résoudre – « Comment prévenir les risques cardio-vasculaires ? » – et fait connaissance avec leur coéquipiers. En tout six membres, de métiers et d’horizons différents. « Dans l’équipe gagnante de l’édition 2016, il y avait une cheffe de produit spécialisée en santé, un agent général, un actuaire, un financier, une entreprise cliente et une start-up », détaille Bénédicte Guenegan de l’écosystème « Ma santé ».
Ils se sont creusé les méninges, et le lendemain sont arrivés les coachs : des experts financiers, des actuaires, des UX designers, qui les ont aidés à consolider leur projet. Le surlendemain, des managers ont interrogé les équipes : « Qu’apporte votre solution aux clients ? » ; « Par quel canal souhaitez-vous distribuer ce nouveau service ? »... Les participants ont ainsi travaillé leur pitch, avant de passer devant le jury, composé des membres du comex et présidé par le PDG d’Allianz. L’idée retenue, POP pour « Point of Prevention », est une caravane médicalisée qui s’installe au pied des entreprises, accueille leurs salariés pour une prise de sang et leur remet, en dix minutes, un bilan de santé et des recommandations. Comme pour tous les projets lauréats de l’Innovathon, Allianz a consacré un budget et une année au déploiement de cette solution, dont peuvent aujourd’hui profiter ses entreprises clientes assurées en santé.
*L’assurance paramétrique s’appuie, comme son nom l’indique, sur un paramètre. Le franchissement d’un seuil fixé dans le contrat déclenche automatiquement l’indemnisation.
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Meurtre de Charlie Kirk aux Etats-Unis: l'étonnant parcours de Tyler Robinson, de lycéen modèle à tueur présumé
Washington - Comment Tyler Robinson, un élève brillant au lycée, élevé dans la foi mormone par des parents républicains, a-t-il pu dériver au point de tuer l’influenceur Charlie Kirk, idole de la jeunesse pro-Trump ? La question agite Washington, petite ville de l’Utah. Le suspect de 22 ans, arrêté jeudi soir après 33 heures de traque, a grandi dans cette bourgade de l’Ouest américain bordée de canyons rougeoyants et de montagnes. La maison de ses parents est un pavillon typique de la classe moyenne américaine, logé dans une rue sinueuse aux pelouses proprettes. Dans ce quartier adossé à l'église du coin, Kris Schwiermann est sous le choc. Tyler était l’aîné de trois garçons, un enfant «calme, respectueux, plutôt réservé, mais vraiment très intelligent», raconte à l’AFP l’ex-gardienne de son école primaire, aujourd’hui à la retraite. «C'était l'élève idéal, le genre de personne que l’on aimerait avoir dans sa classe», confirme Jaida Funk, qui l’a côtoyé de la primaire au lycée, entre ses 5 et 16 ans. «J’ai toujours pensé qu’il deviendrait un jour homme d’affaires ou PDG, plutôt que ce que j’apprends à son sujet aujourd’hui», poursuit la jeune femme de 22 ans. «C’est vraiment inattendu.» A l'école, «il était réservé, mais pas bizarre, il avait des amis et parlait à différents groupes», se souvient-elle. Sorti brillamment du lycée en 2021, Tyler a brièvement étudié à l’université, avant de bifurquer vers un programme d’apprentissage en électricité dans un établissement technique près de chez lui. Parents chasseurs Ses parents, un vendeur de comptoirs de cuisine en granit et une professionnelle de santé travaillant avec des handicapés, sont Mormons comme de nombreux habitants en Utah, selon Mme Schwiermann. Mais ils ne pratiquent plus. «Cela fait huit ans que je ne les ai pas vus à l'église», reprend la retraitée de 66 ans. Épluchées par les médias américains, les photos laissées par les Robinson sur les réseaux sociaux racontent l’histoire d’une famille qui aimait voyager, camper et chassait avec ses enfants. Un apprentissage banal des armes à feu, que Tyler a apparemment recyclé de manière glaçante, en tuant Charlie Kirk d’une balle dans le cou grâce à un fusil à lunette, lors d’un rassemblement sur le campus de l’université Utah Valley, à quatre heures de route de Washington. Si ses parents sont inscrits sur les listes électorales comme républicains, le jeune homme n’a lui indiqué aucune affiliation politique. D’après les registres de l’Etat, il n’a pas voté en 2024. Mais selon le gouverneur de l’Utah, Spencer Cox, qui a divulgué certains éléments d’enquête vendredi, le jeune homme s'était «plus politisé ces dernières années». Il aurait partagé son hostilité envers Charlie Kirk, proche allié du président Donald Trump, avec un membre de sa famille, selon les autorités. Son père l’aurait convaincu de se rendre à la police. Les enquêteurs ont également retrouvé des messages à tonalité antifasciste - «Eh fasciste! Attrape ça!» et une référence au chant antifasciste italien «Bella Ciao» - sur des douilles retrouvées près de la scène de crime. De quoi l'étiqueter comme un tueur «d’extrême gauche» pour une grande partie de la droite américaine. «Passionné de bagnoles» Plutôt qu’un fervent militant, ses ex-camarades de lycée l’ont dépeint au New York Times en fan de jeux vidéos de tirs, comme «Halo» ou «Call of Duty». Tyler ne parlait pas non plus politique avec Jay, qui le fréquentait depuis janvier après avoir rejoint un groupe d’amateurs de grosses voitures. «Il était plutôt timide, c'était juste un passionné de bagnoles», souffle ce quadragénaire perplexe, refusant de donner son patronyme. «On parlait juste de notre amour pour les muscle cars , du bruit qu’elles font et de la façon dont elles roulent.» Son Dodge Challenger gris et rutilant était d’ailleurs la seule chose que les voisins de Tyler Robinson connaissaient de lui, dans le lotissement où il habitait à Saint George, à dix minutes de chez ses parents. Dans ce complexe impersonnel, les habitants rencontrés par l’AFP ne l’ont même pas reconnu lorsque le FBI a diffusé sa photo pendant la traque. Heather McKnight, sa voisine pendant plus d’un an, évoque un inconnu solitaire, à l’air renfrogné, qui conduisait trop vite à son goût. «Il était toujours distant, il ne disait jamais bonjour. (...) Il était juste bizarre», raconte l’infirmière de 50 ans. «Qui aurait pu imaginer que ce petit homme maigre qui montait et descendait de sa voiture serait capable de commettre un acte aussi odieux ?» Romain FONSEGRIVES © Agence France-Presse -
Népal: Sushila Karki, la nouvelle Première ministre, s'affiche au chevet des victimes des émeutes
Katmandou - La Première ministre du Népal Sushila Karki a réservé samedi sa première sortie aux blessés des émeutes meurtrières du début de semaine, au lendemain de sa nomination à la tête d’un gouvernement chargé d’organiser des élections en mars prochain. Dans une capitale Katmandou où la vie revient lentement à la normale, Mme Karki a visité plusieurs hôpitaux, au chevet des victimes de la répression ordonnée par son prédécesseur KP Sharma Oli, contraint à la démission. Au moins 51 personnes ont été tuées et des centaines d’autres blessés lors de ses troubles, les plus graves depuis l’abolition de la monarchie en 2008. Nommée vendredi soir après trois journées de tractations, l’ex-cheffe de la Cour suprême a entamé au pas de charge son mandat à la tête d’un gouvernement provisoire. Sitôt investie, le président Ramchandra Paudrel a ordonné la dissolution du Parlement et convoqué le 5 mars 2026 des élections législatives, une des revendications des jeunes contestataires réunis sous la bannière de la «Génération Z». L’agenda de la première femme chargée de diriger le Népal s’annonce chargé et sa mission difficile, tant sont nombreuses les revendications des jeunes qui ont mis à bas l’ancien régime. Sa nomination a été accueillie comme un soulagement par de nombreux Népalais. «Ce gouvernement provisoire est une bonne chose», s’est réjouie Durga Magar, une commerçante de 23 ans. «On ne sait pas ce qu’il va se passer à l’avenir mais on est satisfaits (...) et on espère que la situation va maintenant se calmer». «La priorité, c’est de s’attaquer à la corruption», a poursuivi la jeune femme. «On se moque de savoir si c’est la Génération Z ou des politiciens plus âgés qui s’en occupent, il faut juste que ça cesse». «Je pense que cette femme Première ministre va (...) faire avancer la bonne gouvernance», a pour sa part estimé Suraj Bhattarai, un travailleur social de 51 ans. Partie lundi de la colère suscitée par le blocage des réseaux sociaux, la fronde a débordé en révolte politique contre un gouvernement jugé corrompu et incapable de répondre à ses aspirations, notamment en matière d’emploi et de niveau de vie. Couvre-feu allégé Plus de 20% des jeunes népalais de 15 à 24 ans sont au chômage, selon les estimations de la Banque mondiale, et le produit intérieur brut (PIB) annuel par habitant frôle les 1.450 dollars. La répression meurtrière des cortèges de protestataires a précipité les événements. Mardi, les manifestants ont déferlé dans les rues de Katmandou et systématiquement incendié ou mis à sac tous les symboles du pouvoir: Parlement, bâtiments ministériels, résidences d'élus... Incarnation des élites, le Premier ministre KP Sharma Oli, 73 ans, quatre fois Premier ministre depuis 2015, n’a eu d’autre choix que de démissionner. Le chef du Parti communiste (maoïste) menait depuis 2024 une coalition avec un parti de centre gauche. Quelques heures après la prestation de serment de la nouvelle Première ministre, l’armée a allégé samedi matin le couvre-feu en vigueur dans la capitale et les autres villes du pays. A Katmandou, chars et blindés se sont faits plus discrets, les commerces et marchés ont retrouvé leurs clients et les temples leurs fidèles. Sushila Karki a travaillé samedi à la composition de son gouvernement, selon son entourage. Plusieurs ONG de défense des droits humains, dont Amnesty International ou Human Rights Watch, l’ont appelée samedi à mettre un terme à la culture de «l’impunité du passé». L’une de ses tâches immédiates sera aussi d’assurer le retour à l’ordre dans tout le pays. A commencer par remettre la main sur 12.500 détenus qui ont profité des troubles pour s'évader de leurs prisons et étaient toujours en cavale samedi. Paavan MATHEMA et Bhuvan BAGGA © Agence France-Presse -
Népal: la Génération Z en révolte après la mort de Santosh Bishwakarma
Katmandou - «Il rêvait de mourir en ayant été utile à son pays». Santosh Bishwakarma, 30 ans, a été abattu lundi par les forces de l’ordre dans une rue de Katmandou alors qu’il manifestait contre le gouvernement, et sa femme est inconsolable. Dans sa petite maison de la capitale népalaise encombrée de ses proches venus partager son deuil, Amika Bishwakarma, 30 ans elle aussi, peine à évoquer le souvenir de son mari. «Il avait l’habitude de dire qu’il ne voulait pas mourir comme un chien», lâche-t-elle entre deux sanglots. «Il voulait que le Népal soit reconnu dans le monde, et ne pas mourir avant d’y avoir contribué. Je crois qu’il a réussi». Santosh avait rejoint lundi le cortège de ces jeunes réunis sous la bannière de la «Génération Z» qui dénonçaient le blocage des réseaux sociaux et la corruption des élites du pays. Il est tombé lorsque la police, débordée, a ouvert le feu sur les manifestants. Une vingtaine d’entre eux ont été tués, des centaines d’autres blessés. La répression a nourri la colère de cette «Gen Z», qui est revenue le lendemain dans les rues de la capitale et a incendié ou mis à sac tous les symboles du pouvoir: parlement, bureaux ministériels, tribunaux, jusqu’aux résidences de plusieurs dirigeants. Le Premier ministre KP Sharma Oli n’a eu d’autre choix que de démissionner. Respectée pour son indépendance, l’ex-cheffe de la Cour suprême Sushila Kari, 73 ans, a été nommée vendredi soir à la tête d’un gouvernement provisoire chargé de conduire le pays jusqu'à des élections prévues dans six mois. Son entrée en fonction semble satisfaire de nombreux Népalais mais pas Amika Bishwakarma, désormais toute seule pour élever son fils Ujwal, 10 ans, et sa fille Sonia, 7 ans. «Un peu de justice» «Mon mari aurait tout fait pour leur permettre de réaliser leurs rêves, même au prix de sa vie», assure-t-elle. «Mais comment je vais pouvoir y arriver seule maintenant ? Il a sacrifié sa vie pour le pays, j’espère que le gouvernement va m’aider». Quand il a appris la mort de Santosh, son ami Solan Rai, 42 ans, a accouru au chevet de sa veuve. Après les violences de la semaine, il veut croire à des jours meilleurs pour son pays. «je n’avais jamais vu pareille colère», note-t-il, «j’espère que cette fois, ça va enfin changer». D’autres veulent croire que la mort de leurs proches ne sera pas vaine. Ce vendredi, ils étaient des centaines à se presser dans le temple de Pashupatinath, à Katmandou, pour assister à la crémation d’un fils, d’un frère ou d’un ami tué cette semaine. «J’espère que de tout ça sortira une forme de justice, que notre peuple obtiendra enfin les changements qu’il cherche désespérément depuis si longtemps», espère Ratna Maharjan en pleurant son fils, tué d’une balle tirée par un policier. Sur les marches du temple, au bord du fleuve Bagmati, une femme vêtue de rouge s’accroche désespérément à la dépouille de son fils, qu’elle refuse de voir partir en cendres. Un peu à l'écart, des policiers déposent des gerbes de fleurs sur le cercueil d’un de leurs collègues, mort lui aussi pendant les émeutes. La police a fait état de 3 morts dans ses rangs. Avant de retourner au silence de son deuil, Amika Bishwakarma fait un dernier vœu, plus politique. «On ne demande pas la lune», glisse-t-elle d’une petite voix. «On veut juste un peu plus d'égalité, que les riches ne prospèrent pas pendant que les pauvres continuent à dépérir». Bhuvan BAGGA et Glenda KWEK © Agence France-Presse