La finance décentralisée reste dépendante des emprunteurs

Les protocoles de finance décentralisée doivent chercher à élargir leurs cas d’usages à d’autres fins que spéculatives.
Louis Tellier
trading de cryptomonnaies, notamment de bitcoins
Le principe des protocoles de la DeFi consiste à créer une réserve de liquidité en cryptoactifs destinée à se faire rencontrer prêteurs et emprunteurs.  -  Crédit Sergei Tokmakow Pixabay

Pendant plusieurs mois, la finance décentralisée (DeFi) est apparue comme un espace d’investissement pour générer des rendements sur des protocoles comme Aave ayant des modèles d’affaires crédibles. Loin des rendements délirants de certaines plateformes obscures flirtant souvent avec un régime de Ponzi.

Mais depuis le début de l’année - et particulièrement depuis la chute de Terra-Luna -, les taux de rendement au sein de la DeFi ont drastiquement chuté. A tel point que le Livret A redevient, à de nombreux égards, un placement plus intéressant. «Comment voulez-vous que l’on investisse dans la DeFi avec des taux aussi faibles et des risques aussi élevés?», ont fait remarquer des institutionnels lors de la conférence CoinDesk I.D.E.A.S qui s’est tenue à New York. Il s’adressaient à Paul Frambot, PDG de Morpho qui ambitionne d’optimiser les taux entre protocoles de la DeFi et qui a récemment levé 18 millions de dollars avec un tour de table notamment mené par le fonds Andreessen Horowitz.

Des rendements en chute libre

Le principe des protocoles de la DeFi est souvent le même. Il consiste à créer une sorte de pot de liquidité géant de cryptoactifs destiné à se faire rencontrer prêteurs et emprunteurs. L’emprunteur va alors payer un taux d’intérêt comme pour un prêt classique. Une partie de ce taux d’intérêt servira à rémunérer les prêteurs pour la mise à disposition dans le pot de leurs actifs numériques. Ce système présente l’intérêt de pouvoir emprunter à n’importe quel moment et quasiment en un clic, sans attendre l’autorisation d’une institution financière. Un particulier pouvait ainsi trouver des rendements sur les protocoles les plus sérieux allant de 5% à parfois 8% en mettant ses cryptoactifs à disposition des emprunteurs.

Le principal inconvénient de ce système réside dans le fait que l’emprunteur doit déposer en garantie plus que ce qu’il emprunte : on dit qu’il doit surcollatéraliser sa position. L’un des seuls intérêts à cette action est de pouvoir rendre liquides des cryptoactifs spéculatifs comme le bitcoin (BTC) et l’ether (ETH), la cryptomonnaie native du réseau Ethereum, qu’un utilisateur ne désire pas vendre. C’est la grande innovation apportée par le protocole MakerDAO avec le lancement du Dai, un stablecoin - soit une cryptomonnaie circulant sur la blockchain - dont le cours est adossé à celui d’une monnaie fiat (euro ou dollar) ou d’un autre cryptoactif. Ceci permet aux investisseurs de disposer d’un effet de levier supplémentaire.

Ce système devient moins intéressant lorsque les emprunteurs ne sont plus légion. Cette moindre profondeur de la demande de crédit fait mécaniquement chuter les taux d’intérêt offerts aux prêteurs. C’est ce que l’on observe en ce moment. En avril, la valeur totale bloquée (TVL) sur les protocoles de la DeFi atteignait près de 240 milliards de dollars. Elle se situe aujourd’hui autour de 80 milliards de dollars selon les données de DeFi Llama. Une chute qui s’explique par la baisse des cours des actifs comme le bitcoin et l’ether, mais aussi par la fuite de nombreux investisseurs inquiets d’une potentielle liquidation de leur position. Les taux se situent donc aujourd’hui plutôt autour de 2% pour les cryptomonnaies les plus populaires comme l’USDT, le bitcoin ou l’ether.

Les leçons du liquidity mining

En plus de MakerDAO, l’un des premiers protocoles de la DeFi à avoir connu le succès est Compound. Il a même détrôné brièvement l’entité créé par Rune Christensen en termes de capitalisation pendant plusieurs mois de l’année 2020.

Compound est un protocole de prêts et d’emprunts basé sur la blockchain Ethereum. Pour attirer massivement les emprunteurs, il a décidé de les rémunérer avec sa cryptomonnaie native le Comp, une pratique appelée liquidity mining dans le jargon crypto. «A partir de là, un utilisateur gagnait de l’argent à emprunter. A mesure que les emprunts augmentaient, les taux devenaient intéressants pour les prêteurs. La mécanique a fait que de manière vicieuse, la valeur totale bloquée (TVL) sur le protocole a explosé», explique Paul Frambot, chez Morpho.

Au lancement du Comp en juin 2020, la TVL de Compound était de 12,6 milliards de dollars, pour se situer à son apogée autour des 20 milliards de dollars jusqu’à début décembre 2021. Dans le même temps, le cours de la cryptomonnaie a explosé, de 90 dollars l’unité à un sommet de 830 dollars en mai 2021 avant de revenir à 270 dollars début décembre 2021. Actuellement, son prix se situe en dessous des 50 dollars et sa TVL est tombée à 3 milliards, alors que celle de ses concurrents Aave et MakerDAO se situe toujours autour des 10 milliards de dollars. Ces deux protocoles se sont «imposés comme lieux sûrs de dépôts pour continuer à générer même des petits rendements», explique Alexis Masseron, PDG d’Atlendis, un protocole de DeFi.

Aave a d’ailleurs décidé de ne pas directement distribuer sa cryptomonnaie dans le cadre de son liquidity mining, mais plutôt une représentation de ce dernier. «A un moment donné, Compound a dû arrêter cette pratique, notamment parce qu’il perdait trop d’argent», analyse Paul Frambot. Celui-ci défend l’idée que l’incitation à participer à un protocole via la destruction de jetons auprès d’utilisateurs «ralentit le développement de l’écosystème sur le long terme».

Face à cette forte dépendance aux choix des emprunteurs, les protocoles de finance décentralisée doivent trouver d’autre sources de revenus faisant partie intégrante de leur fonctionnement comme la création de leur propre stablecoin décentralisé. Ou élargir leurs cas d’usages à d’autres fins que spéculatives.

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