
La blockchain va transformer la banque d’investissement
Participants :
Précédemment : Weltare Strategies, Microsoft, Ethercourt
Ethergency Founding Board Member
Ex-directeur informatique chez Société Générale CIB, Fimat et NYSE.
L’Agefi : Abdoulaye Doucouré, vous conseillez les acteurs économiques dans les projets blockchain. Quels sont ceux où les banques d’investissement sont impliquées ?
Abdoulaye DOUCOURÉ. — Un phénomène intéressant devrait normalement être amorcé en 2019, avec les STO – security token offering –. Il s’agit tout simplement de « tokenisation », ce qui consiste à rattacher des actifs financiers, tels qu’on a l’habitude de les gérer aujourd’hui, à des jetons sur un protocole décentralisé. Ce n’est pas très compliqué.
En 2018, les levées de fonds de projets blockchain qui ont eu lieu n’avaient pas particulièrement de sous-jacents, pas de réelle proposition de valeur. Mais elles ont permis de tester la technologie. On a vu qu’on pouvait acheter des jetons, les échanger, les revendre et même les valoriser. Les professionnels sont à present prêts à relier des actifs à cette technologie, à faire le lien avec l’économie réelle. Des cas intéressants se font jour, une ou deux entreprises préparent en ce moment des projets précis pour attacher ou émettre de nouveaux jetons qui donneront droit à des actions.
Des banques ont expérimenté de mutiples POCs (proof of concept) depuis deux ou trois ans. Certaines prennent le pari de lancer leurs propres crypto-actifs et d’autres offrent des services de conseil en investissement. En effet, leurs clients, attirés par la “hype” derrière tout cela, veulent savoir comment profiter de cette nouvelle tendance.
Jérôme LAURRE. — Il ne fait aucun doute que nous sommes confrontés à des évolutions de technologies numériques et de digitalisation qui vont transformer les modèles d’affaires des banques. Mais, aujourd’hui, la difficulté pour la banque d’investissement est de trouver la proposition de valeur de la technologie.
Ainsi, les projets qui sont actuellement en cours en blockchain sont-ils ceux qui émergeront en premier dans les banques d’affaires ? Pas forcément. L’industrie reste réservée. En effet, les ICO (initial coin offering) qui ont pu avoir lieu jusqu’à présent étaient fondées sur des tokens en cryptocurrencies. Les investisseurs jouaient beaucoup sur le fait de pouvoir se retrouver possesseurs de ces monnaies « numériques ». Malheureusement, avec la baisse du cours du bitcoin l’année dernière, la proposition de valeur n’a pas été idéale et tout le marché s’en est ressenti en 2018. Cela dit, dans des secteurs d’activité connexes à la banque d’affaires, des initiatives de place ont été lancées : des blockchains en distribution de fonds permettent de suivre la propriété de parts de fonds, en France et au Luxembourg. La loi française a été modifiée fin 2017 pour reconnaître qu’en termes de propriété juridique d’un actif non coté, un traitement de blockchain est de même qualité que si un tiers de confiance — de type bancaire — le conserve. En banque commerciale également, des flux internationaux et des crédits commerciaux à l’international sont inscrits en blockchain.
Partant de ces deux exemples, qui sont de vrais succès établis et indépendants des conditions de marché, on peut penser à tous les processus pour lesquels il sera possible de créer une traçabilité, sans répétition du traitement administratif que réclament les réglementations de type RGPD (Règlement sur la protection des données personnelles), KYC (connaissance client)... Si la blockchain permet d'éliminer ces traitements réglementaires qui sont extrêmement consommateurs de temps, je suis convaincu que cette digitalisation prendra place dans les banques d’investissement.
Pascal LAUFFER. — Chez Onbrane, nous constituons une équipe de technophiles, passionnés de la technologie blockchain. Nous avons identifié la problématique essentielle de la blockchain par rapport à d’autres technologies. Par exemple, une solution déployant de l’intelligence artificielle ne nécessite pas une mise en place et une intégration complexe pour l’utilisateur. Or, pour que la blockchain ait de la valeur, il lui faut déplacer tout l’écosystème de son objet. Cela complique la démarche. La structure de données, indépendante ou pas, à partir de laquelle est construite la blockchain n’est pas la question centrale. L’important, c’est la capacité des acteurs à partager des systèmes de telle sorte qu’au lieu de faire le process un certain nombre de fois, ils ne le font qu’une seule fois, avec un système de traçabilité depuis le départ et en continu. C’est là que la Blockchain apporte une valeur énorme, au-delà des ICO et de la digitalisation des actifs, ou « tokénisation ».
Chez Onbrane, nous sommes persuadés que la blockchain peut apporter beaucoup de valeur au marché de la dette primaire, mais nous savons aussi qu’il ne suffira pas de demander aux banques de partager, du jour au lendemain, une blockchain. C’est pourquoi nous commençons à digitaliser un process et à résoudre de vrais « pain points » (sujets de difficulté) dans la négociation et l’émission de dette primaire. Nous utilisons la blockchain pour ce qu’elle sait faire de manière très naturelle au départ, le notariat. Toutes les modifications de transactions sont inscrites sur la blockchain et elles sont infalsifiables, offrant aux régulateurs et aux utilisateurs une transparence inédite de l’activité.
La blockchain a pour fonction la tenue de registre, comme si elle avait été confiée à un agent extérieur, une sorte de notaire vérifiant et signant chaque événement, sans qu’il soit possible de falsifier ce registre. La question centrale est la confiance. Tout en sachant qu’actuellement les connexions des clients avec leur banque sont très sécurisées, malgré tout, en back-office et en informatique, des possibilités d’effraction existent. Globalement, les connexions des clients avec les systèmes des banques se passent très bien mais c’est un système très lourd de vérifications, de contrôle et de régulation qui est en place, grâce auquel il est très rare de voir de l’argent disparaître du compte.
Avec la blockchain, le contrôle devient naturel, la notion de tiers de confiance est effacée. En pratique, nous la faisons fonctionner à l’extérieur des systèmes des acteurs, sans demander pour l’instant à l’industrie de le faire. Nous seuls accédons à cette blockchain. Le marché n’est pas prêt. Une fois que vous êtes sur la blockchain, les choses sont simples, la technologie est en place. Par contre, il faut entrer sur cette blockchain et en ressortir. La connexion n’est pas simple. On le fait à travers un système de clés publiques ou de clés privées. Or pour le moment, on n’est pas complètement prêts à s’identifier grâce à deux chaînes de caractères qu’on peut trop facilement égarer.
La blockchain, c’est magnifique, révolutionnaire, et cela peut faire beaucoup de choses. En revanche, il faut procéder par étapes et rassembler l’ensemble des acteurs autour de soi.
Jérôme LAURRE. — La qualité de tiers de confiance est attribuée aux banques en même temps qu’il existe une demande de transparence de la part du régulateur qui doit être satisfaite. Ainsi, dans certains pays, en Amérique latine par exemple, des hommes d’affaires, des personnes fortunées se font kidnapper depuis que la chaîne de reporting dans les banques, au nom de la transparence, met au courant tout une chaîne de personnes des avoirs des clients. Trop de gens sont détenteurs de l’information.
Si vous créez un système de confiance par lequel les États savent qu’il n’y a pas de blanchiment d’argent, que les gens ont payé leurs impôts, que leur identifiant existe quelque part sur une chaîne délocalisée et que cette information n’est accessible que pour ceux qui doivent faire des vérifications — Tracfin ou son équivalent —, vous supprimez cette diffusion de l’information qu’engendrent RGPD et KYC dans toutes les chaînes bancaires aujourd’hui.
Les enlèvements en Amérique latine représentent certes un cas extrême, mais il faut savoir que, de ce point de vue, les blockchains ont plus d'écho dans des pays un peu moins stables politiquement que les nôtres, justement parce qu’il existe ce type de comportement.
Pascal LAUFFER. — Ce n’est pas une exception. Aujourd’hui, dans les systèmes retail banking (banque de détail), il y a différents niveaux de visualisation des comptes clients, justement pour éviter ce genre de problèmes. Grâce à une codification, si vous êtes une personnalité politique ou quelqu’un de connu avec un certain niveau de richesse, vous êtes caché dans le système.
Abdoulaye DOUCOURÉ. — Souvent, on parle de la blockchain comme s’il s’agissait d’ une entité unique fonctionnant de la même manière dans tous les cas. Or, chez Umanis, spécialiste de la data, nous constatons que, sur un projet dans lequel on a mis en place des algorithmes d’apprentissage automatique par exemple, peut-être 5 % sont spécifiquement sur cette partie et constituent la brique la plus innovante. Tout le reste relèvera du code classique.
Dans les projets blockchain, le plus souvent, la problématique se présente de la même façon. Lorsque nous intégrons un protocole dans le système d’information d’une banque, par exemple, la majorité du processus se situe hors de la chaîne, tout en faisant quand même partie du projet. Chaque projet fait une large place à la personnalisation, en fonction, notamment, de la réglementation, de la volonté de la banque de rendre une partie de la donnée publique ou de la conserver privée ou semi-privée, uniquement pour quelques acteurs identifiés.
Même les protocoles qui sont en open source peuvent être dupliqués et adaptés. Il n’y a pas qu’une blockchain, il existe plusieurs protocoles qui vont s’insérer dans plusieurs systèmes d’information et qu’on est libre d’adapter autant qu’on veut.
Ainsi, je ne pense pas que ces problématiques de données accessibles ou pas soient vraiment un frein. L’entreprise ou la banque peut tout simplement décider de bien faire la séparation entre ce qu’elle stocke sur la chaîne et ce qu’elle stocke dans les bases de données classiques.
Quant à la similarité de la blockchain avec les bases de données centralisées, elle est juste, à la différence de l’impact démultiplié de la blockchain en terme d’économie d’échelle. Ainsi, aujourd’hui, lorsqu’on passe par un notaire, celui-ci certifie chacune des transactions et les coûts s’additionnent. Avec la plupart des protocoles blockchain, le protocole est audité au départ, toutes les transactions qui ont lieu ensuite sont effectuées de la même manière. Les coûts ne sont pas reportés (sous réserve qu’il n’y ait pas de coûts de transaction liés par exemple au Proof of Work). Pour les banquiers d’affaires, avec la blockchain, l’objectif à moyen terme est vraiment de baisser les coûts.
L’irréversibilité de la blockchain fait peur, et il est vrai que la plupart des protocoles ne permettent pas de changer le comportement de l’algorithme, si cela n’a pas été prévu au départ. Que va faire la technologie ? Elle va tout simplement exécuter le code comme prévu. Il suffit par exemple d’anticiper qu’en cas de problème, deux signatures peuvent bloquer l’exécution du code ou que la circulation des fonds peut être suspendue. Dès lors, sur le protocole, l’exécution du code tiendra compte de cette anticipation.
Ainsi, la difficulté ne vient pas du protocole. Tout tient à la capacité des maîtres d’ouvrage, des banquiers et des différentes entreprises à écrire un code de qualité, qui tienne compte de tous ces aspects.
Jérôme LAURRE. — Pour les banques, l’objectif de l’adoption d’une technologie est souvent d’abaisser les coûts et d’augmenter la profitabilité. C’est d’ailleurs vrai de la plupart des sociétés, mais c’est particulièrement le cas dans les banques. Comme leur activité est extrêmement régulée, la contrainte est de marier la régulation et la technologie, en articulant les deux.
Mais l’adoption rapide d’une technologie tient à la difficulté pour les banques à intégrer les évolutions réglementaires, qui sont multiples et impliquent, pour les départements de conformité, l’édiction de règles. Or je ne connais pas de travail de place en France, ou a fortiori au niveau européen ou mondial, pour harmoniser l’édiction de règles, par exemple sur le format KYC. À mon sens, c’est une aberration en termes d’accumulation de coûts. La blockchain se voulant un mécanisme de place, elle devrait mettre fin à cette situation, il me semble.
Pascal LAUFFER. — C’est tout à fait ce qu’on attend. Aujourd’hui, au niveau macroéconomique, en France et aux États-Unis, à peu près 10 % du PIB sont dépensés par les banques pour des enregistrements administratifs. Malheureusement, la culture des banques ne va pas dans le sens d’une rupture avec ce système. Les banques risquent, sur chaque dossier, non seulement le non-remboursement de leur crédit mais aussi les sanctions du régulateur, notamment américain. La culture interne des banques est une culture de la crainte et de la vérification. La blockchain résout une grande partie de tout cela. Résultat, une grande partie des effectifs deviennent superflus : la transformation en vue est considérable. La part de ce qui, dans une banque, demande vraiment une intervention humaine, apparaît finalement très limitée.
Jérôme LAURRE. — Ce point est juste sauf qu’aujourd’hui, selon la réglementation, un employé d’agence dans une petite ville a les mêmes exigences de KYC que n’importe où ailleurs, pour n’importe quel type de transaction. Et c’est normal, puisqu’il est responsable si jamais quelque chose va mal. Le régulateur a créé une responsabilité pénale sur les chargés de clientèle. Ils perçoivent leurs obligations de KYC comme destructrices de valeur dans la relation client, d’autant qu’elles sont fréquentes. Mais chaque banque étant responsable en cas de problème, il est difficile de partager un KYC avec d’autres.
Pascal LAUFFER. — Dans un monde futur idéal, la simplification est en vue avec une blockchain sur laquelle l’identité des clients est démontrée. Certes, si on imagine qu’une blockchain traçera toute notre existence, cela pose des problèmes d’éthique. Mais quelque part, les problèmes de KYC seraient complètement résolus. L’information étant partagée par tous, d’un seul coup, cela supprimerait pas mal de tâches et cela retirerait aussi aux banques la responsabilité qu’on leur donne. On demande à une banque de faire le travail de l'État pour vérifier qui fait quoi. Mais pourquoi doit-elle le faire ? On peut se poser la question. Les banques ne sont pas uniquement là pour s’occuper de vous comme client, mais aussi pour vérifier ce que vous faites. On ne trouve pas cela dans d’autres industries, c’est tout de même particulier.
La logique derrière une introduction de la blockchain sur le marché des Neu CP (titres de dette à court terme), le premier projet d’Onbrane, est un peu différente. Actuellement, une émission donne lieu à un traitement du point de vue de l’émetteur et de l’investisseur, du front office au back office avec ensuite la réconciliation des deux traitements. La charge de travail pour réconcilier toutes ces bases de données est tout simplement incroyable.
Une blockchain au milieu, avec une base de données partagée tenant lieu de golden source, apportera une simplification spectaculaire. Le défi étant que tout le monde accepte de se déplacer ensemble sur cette blockchain et d’avoir confiance.
Techniquement, les choses sont au point. La plus vieille des blockchains, celle du bitcoin, a dix ans d’existence aujourd’hui et elle est toujours opérationnelle. La chaîne a parfois un peu divergé, mais le système est capable de se soigner lui-même : il est absolument hallucinant, d’un point de vue technologique, de garder ce niveau de fiabilité. De plus, si les choses se passent mal, on peut toujours revenir un peu en arrière et redémarrer.
L’adoption prendra un peu de temps, la confiance se mettra en place progressivement, comme cela s’est fait avec l’open source, qui suscitait la méfiance au départ. Aujourd’hui, pas une seule salle de marché sur la planète ne fonctionne sans open source. Notre économie dépend à présent de gens capables de lire des lignes de code. Ce sera pareil pour la blockchain. Aujourd’hui, on regarde toutes les bonnes raisons pour lesquelles cela ne peut pas marcher !
Jérôme LAURRE. — Il y a une pression majeure pour que cela marche : les banques sont confrontées à un besoin d’efficience accru pour faire baisser les coûts de la régulation, qui sont bien plus prégnants aujourd’hui. En effet, les activités de marché ont beaucoup plus de mal à générer les niveaux de profitabilité qu’elles avaient auparavant et en plus, toute une couche réglementaire s’est ajoutée. La logique veut qu’à un horizon de trois ans au maximum, les banques s’adaptent très vite pour traiter ces sujets avec une rationalité digitale et non plus simplement une réactivité réglementaire.
Depuis la crise de 2008, les banques ont décalé leur modèle et sont rentrées dans une logique d’industrie, de utility, devant gérer les process de la même façon qu’un acteur industriel. Dès lors, la technologie va s’imposer.
Abdoulaye DOUCOURÉ. — Il est difficile de mettre le doigt sur le moment précis auquel le changement va s’opérer. À moins de deux ans, il y a clairement des freins à l’adoption de la blockchain dans la plupart des banques.
Le problème vient souvent des banques elles-mêmes. Même chez les banquiers d’affaires avec lesquels nous avons travaillé, qui sont vraiment des leaders dans l’innovation au sein de leur groupe et qui ont l’objectif d’essaimer dans le groupe à moyen et long termes, il existe clairement des résistances au changement.
En revanche, à moyen terme, la banque est prête à adopter ces technologies. Les protocoles fonctionnent quasiment tous par réplication de l’information, sur tous les nœuds ou sur les ordinateurs connectés au réseau. Les banques sont à même de le comprendre.
Le cas d’usage qui a explosé est celui du bitcoin, aussi parce que la plupart des professionnels qui s’y engouffraient étaient intéressés par l’aspect spéculatif de leur investissement. Ces mêmes personnes sont clientes des banques et les sensibilisent donc au sujet. Par ailleurs, sous l’effet de l’open banking, certaines banques commencent à s’intégrer avec des fintech. Cette logique prépare à l’ouverture nécessaire pour pouvoir transmettre certaines informations par un protocole décentralisé.
Ensuite, les choses doivent avancer sous l’angle technologique, la blockchain se situant à la croisée de plusieurs éléments, le peer to peer, le chiffrement, le matériel permettant de traiter les données... Les investisseurs ont commencé par financer les projets liés aux infrastructures, avec les retours potentiels les plus élevés, mais, à présent, on voit se développer des projets périphériques, comme les applications avec une interface utilisateur attractive. Ethereum a été l’un des premiers protocoles ayant permis de développer des smart contracts. Aujourd’hui, de plus en plus de développeurs dans le monde maîtrisent ces nouveaux protocoles. L’accélération va s’amorcer à partir de cette année. Cela ne se voit pas encore forcément dans le secteur bancaire, même si des innovateurs s’y positionnent comme quelques banques privées au Liechtenstein (raisons fiscales), en Suisse (raisons historiques) ou même en France (commerce international).
Jérôme LAURRE. — Longtemps, l'être humain a cru que l’information, c'était le pouvoir. Avec Internet, aujourd’hui, l’information est disponible 24 h/24, où que vous soyez. Ce n’est donc plus l’accès à l’information qui a de la valeur, c’est son traitement. La valeur est maintenant dans ce que vous apporte le traitement simplifié de la data.
Ce qu’on appelle « intelligence artificielle » renvoie à des algorithmes appliqués à des jeux de données et donnant une représentation plus rapide et plus propre des matrices statistiques utilisées. Notre capacité de choix ou d’orientation des décisions est fortement augmentée.
La grande inquiétude d’aujourd’hui consiste à se demander si les nouvelles technologies vont supprimer de l’emploi. Ce n’est pas la question. Le sujet est de savoir comment repositionner l’humain par rapport à ces traitements augmentés de l’information. Est-ce une opportunité ? Faut-il embrasser cette opportunité pour simplifier nos vies et créer plus de valeur ailleurs ? Ou restons-nous crispés sur nos habitudes ?
Pascal LAUFFER. — L’arrivée de la technologie est inévitable, je suis tout à fait d’accord. Elle trouve de la résistance, comme toujours, parce qu’elle déplace les gens et les pouvoirs, mais elle s’impose pour finir.
L’arrivée de l’intelligence artificielle sera peut-être une erreur pour l’humanité, comme certains pensent que l’a été la révolution agricole, mais le tournant est pris, nous sommes engagés dans cette direction, nous y allons par petits pas incrémentaux. Comme espèce, nous ne sommes pas suffisamment intelligents pour regarder où cela va nous emmener et pour prendre des décisions à long terme. Il suffit de voir comment nous avons géré notre planète et notre climat pour nous rendre compte que nous ne savons pas le faire.
Abdoulaye DOUCOURÉ. — Les algorithmes utilisés par les nouvelles technologies sont vraiment complexes, quels qu’ils soient. Si, par exemple, on aborde le machine learning, ce que l’on appelle « intelligence artificielle », il est encore plus difficile de décortiquer et de savoir exactement comment ces décisions sont prises. Pour tous ces actifs qui sont en train d'être tokenisés sur des registres décentralisés, il peut y avoir une décorrélation entre la valeur réelle de l’actif et son prix, sans qu’on s’en rende compte.
Cependant, si un acteur a déjà eu cette expérience, c’est bien l’acteur bancaire, en 2007. Les banques devront toutefois apprendre à travailler de manière plus ouverte et à faire appel à des compétences extérieures, comme les développeurs indépendants pour évaluer ces actifs. Ce n’est pas insurmontable, plusieurs projets sur Ethereum, par exemple, essaient d’inclure un système de réputation qui permet de suivre la compétence et l’expertise de l’auditeur. Cela peut aider à rassurer une institution financière.
Jérôme LAURRE. — Le jour où les banques seront capables de dire : « Je prends l'équipe la plus agile », plutôt qu’un acteur en vue, un grand cabinet, cela changera tout. Compte tenu de la vitesse à laquelle se déploient les nouvelles technologies, soit on est capable d’agréger ces compétences dans un écosystème de confiance et dans ce cas, on est capable de s’adapter, d'être dans le jeu en permanence et de créer de la valeur ; soit cela va devenir très compliqué.
Pascal LAUFFER. — Effectivement, ce problème de culture est énorme, les banques ont des process qui les alourdissent dangereusement. Plus les organisations sont grosses, plus c’est compliqué de changer
Abdoulaye DOUCOURÉ. — En fait, on voit aujourd’hui les grands cabinets de conseils créer des communautés de start-up, des incubateurs, pour avoir des consultants externalisés. La synergie peut s’opérer sans concurrence car les grands cabinets vendent du service tandis que les start-up préfèrent construire des produits technologiques.
Pascal LAUFFER. — Oui, mais le business model de ces cabinets consiste toujours à la fin à facturer des services. Ils disent aux bonnes personnes, au bon niveau de l’organisation, ce qu’elles veulent entendre. Leur objectif n’est certainement pas de faire de l’innovation. En fait, dans le métier de la banque, les « Big Four » font partie de l’inertie. Ils ne sont pas là pour aider les banques. Penser que l’innovation va venir de là est une erreur.
En tant que fintech, nous travaillons avec les banques et nous voyons qu’une partie des fintech est très pragmatique et cherche surtout l’opportunité de vendre quelque chose à quelqu’un, même si, à court terme, la valeur ajoutée n’est pas là.
La transformation est très difficile. Quand on parle d’une technologie de type blockchain, il faut changer tous en même temps. Le problème est là.
Propos recueillis par Frédérique Garrouste
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