
En attendant l’usage

Une belle peau noire, quelques rondeurs… Ce portefeuille alourdit poches et sacs. Tout son contenu pourrait pourtant être dématérialisé. Un Iphone récent est déjà une sorte de portefeuille virtuel avec ses photos, diverses applications et, depuis l’été 2016 en France, un support qui peut rassembler une carte Ticket Restaurant®, une autre bancaire – pour les clients des réseaux de BPCE, du Crédit Mutuel ou de la Société Générale sinon de banques en ligne – et, depuis le 20 mars, une American Express. Le terme wallet (portefeuille électronique) semble approprié pour Apple Pay. « Ce n’est pas un mot grand public, pointe toutefois Christophe Dolique, directeur général de Lyf Pay. Le consommateur souhaite payer le plus simplement possible et bénéficier de services qui simplifient son quotidien. »
Les wallets chinois suscitent ainsi bien des fantasmes. « En Chine, le gouvernement a permis le développement d’Alibaba, devenu numéro un du e-commerce, et de Tencent, dont le réseau social compte 1 milliard d’utilisateurs parmi la population en Chine et à l’extérieur. Ces géants ont chacun leur wallet : Alipay et WeChat Pay », décrit Annie Guo, fondatrice de Silkpay. Pour se développer à l’étranger, Alipay, qui a une licence de paiement chinoise depuis 2004, a signé en 2016 un partenariat avec cette start-up qui permet aux commerçants en France, Italie et Espagne d’accepter les wallets chinois. « Alipay va au-delà du paiement, avec des centaines de fonctionnalités. On peut demander un prêt ou effectuer des placements : c’est donc plutôt une néo-banque, reconnaît Annie Guo. On peut aussi payer ses factures d’eau ou d’électricité, réserver un billet d’avion, prendre un rendez-vous chez le médecin, etc. Enfin, le client reçoit des recommandations pour des hôtels ou des restaurants à l’étranger. » L’envergure d’Alipay reste aussi sans équivalent. Elle « s’appuie sur les volumes de transactions d’Alibaba », rappelle Annie Guo, et sur 1,3 milliard de Chinois dont 2,5 millions voyagent chaque année en Europe. « Tous passent par Paris et 90 % y séjournent, précise la dirigeante de Silkpay. Leurs dépenses s’élèvent à 1.600 euros par jour. »
Vincent Duval, PDG de Paylib, tranche : « Ce n’est pas transposable ». Pas plus d’ailleurs que le succès d’Orange Money en Afrique sub-saharienne (voir graphique). L’opérateur, qui comptabilise pour son wallet 37 millions d’utilisateurs dans 17 pays, a d’ailleurs privilégié Orange Bank en France. En comparaison, PayPal repose sur 22 millions de comptes actifs dans le monde, dont 8,5 millions sont français.
Place nette
Ici, la carte bancaire et l’interopérabilité sont acquises. Pour conserver cet atout, les grands réseaux ont mutualisé leurs investissements, désormais portés par Paylib. « La vocation de Paylib est de permettre aux banques de proposer à leurs clients un moyen de paiement devenant incontournable, explique Vincent Duval. Etre intégré au cœur des banques renforce la sécurité des transactions et des données personnelles qui restent au sein du système bancaire. De plus, le paiement est réalisé directement de compte courant à compte courant. » Mais, chargé au sein de l’application de chaque banque, Paylib apparaît plutôt – sur mobile, en e-commerce, dans les magasins de proximité et, depuis peu avec BNP Paribas, entre particuliers – comme « une extension de la carte bancaire », constate Christophe Dolique qui annonce qu’elle « sera intégrée comme un des moyens de paiements sous-jacents » à Lyf Pay.
« Nous envisageons aussi d’en intégrer d’autres, avance-t-il, comme des titres restaurant. » Porté initialement par BNP Paribas, Crédit Mutuel, Mastercard, Carrefour, Auchan, Oney et Total, Lyf Pay a été conçu comme une « plate-forme pour le commerce, qui combine paiement mobile, services de fidélité et d’animation commerciale dans une expérience unifiée », détaille Christophe Dolique. Son ADN retail pousse à un développement au service des marchands. Même si « Carrefour n’est plus actionnaire de Lyf Pay, dévoile son dirigeant, la solution va être déployée dans ses magasins prochainement ». Au total, le wallet compte un peu moins de 10.000 points d’encaissement, dont les hypermarchés Auchan, Géant Casino et les supermarchés Casino. Et va démarrer avec Marionnaud « avant l’été ».
La partition parmi les wallets français peut se faire selon leur parenté. A l’opposé de Lyf Pay se trouverait donc Paylib, dont les banques sont au capital. Force est de constater qu’il n’existe qu’un acteur français indépendant : Lydia. Cette fintech née en 2013 a levé des fonds auprès de CNP Assurances, XAnge, NewAlpha Fintech, Oddo BHF et Groupe Duval : plus de 23 millions d’euros depuis sa création, dont 13 millions en février dernier.
Au-delà de l’actionnariat, se dessinent deux modèles de wallets. D’un côté, ceux centrés sur le paiement et le porteur, tels Apple Pay et Paylib ; de l’autre, ceux dédiés aux marchands, tels Stripe pour Drivy, MK2 ou Champagne Taittinger ; voire le français Morning, filiale de la Banque Edel (groupe E. Leclerc) depuis mars 2017. Dans ce paysage, c’est cette fois Lyf Pay qui se distingue, cherchant à dépasser la limitation des services comme du réseau d’acceptation. « Nous allons intégrer la possibilité de régler son addition directement à table sans l’intervention du serveur ou, en magasin, de scanner et payer ses produits directement avec son smartphone sans passer par la caisse », indique son directeur général. En agrégeant des commerces physiques, Lyf Pay aurait dépassé 600.000 téléchargements au premier trimestre avec une moyenne de 2.500 téléchargements par jour. « Au regard des expériences en Asie ou en Afrique, dès que l’écosystème est constitué et mûr, la croissance est exponentielle », affirme Christophe Dolique. De son côté, « Paylib commence à intégrer des fonctions périphériques au paiement, relève Vincent Duval. La Société Générale expérimente l’intégration de cartes de fidélité. La Banque Postale y associe le crédit à la consommation. Chaque réseau peut développer des services connexes selon sa stratégie ». Et le dirigeant de revendiquer à son tour sa capacité d’atteindre la masse critique, puisque « le commerçant n’a besoin d’aucun équipement de plus que pour une carte bancaire sans contact, souligne-t-il. Le sous-jacent de Paylib étant monétique, il s’appuie sur des infrastructures existantes. La sécurité du paiement est même renforcée par la « tokénisation » de la carte. »
Complétude de services
Sur le plan technique, Silkpay propose « différentes solutions pour l’encaissement, indique Annie Guo. La plus simple est celle du QR code. » Lydia propose également de payer les commerçants sans contact (via Apple Pay) ou par ce code-barre en deux dimensions. Et Lyf Pay cherche aussi à donner de l’ampleur à cet outil. « Le Crédit Mutuel déploie cette année des nouveaux TPE (terminaux de paiement électronique) acceptant à la fois le paiement par carte bancaire et le paiement par QR code », indique Christophe Dolique. Quoi qu’il en soit, les commerçants cherchent à disposer d’un maximum d’options. Y compris sur internet. « Avec la monétique classique, un e-commerçant doit arbitrer entre une fluidité de parcours client, où il se retrouve à porter le risque d’impayé, et une authentification 3D Secure, qui lui fournit une garantie de paiement mais conduit parfois à l’abandon du panier. Paylib apporte la garantie du paiement avec un parcours client simplifié », assure Vincent Duval qui précise que l’instant payment a vocation à être mis en œuvre, tout en veillant à ce que les commerçants conservent cette garantie.
Sur le plan économique, tous les wallets ont en commun de vivre du commerce. « Nous facturons des commissions pour le paiement, pose Christophe Dolique, auxquels s’ajoutent des services complémentaires, dont l’unité peut être le magasin, le service ou l’utilisateur. » Quel modèle permet au minimum d’atteindre un point d’équilibre ? Tandis que Morning reconnaît que seules ses activités en business to business sont rentables, Lydia a ajouté une corde à son arc en proposant un service « métabancaire » aux particuliers – et payant lorsqu’il est assorti d’une carte physique, ses revenus étant inférieurs aux coûts des transactions et de ses charges d’exploitation. Parmi les wallets français, « aucun ne doit pouvoir se dire rentable aujourd’hui », qu’ils soient dans un modèle de paiement universel ou de services aux enseignes intégrant l’encaissement, estime Vincent Duval. Pour y parvenir, il est probable que les acteurs de part et d’autre, y compris Lydia, PayPal ou Pumpkin, convergent vers une position combinée. « Le marché est en train de mesurer que le paiement mobile seul n’est pas suffisant : il faut le compléter avec les autres éléments du parcours et contexte d’achat pour offrir une expérience client pertinente, fluide et créatrice de valeur, analyse Christophe Dolique. Il est imaginable qu’à terme, deux ou trois solutions subsisteront. »

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