Les BFI européennes pénalisées par leur environnement réglementaire

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Par Emmanuel Dooseman, associé, responsable groupe des activités banque, Mazars

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Septembre 2018 marquait l’anniversaire des 10 ans de la chute de Lehman Brothers, banque de financement et d’investissement (BFI) américaine
emblématique de Wall Street. Sa faillite reste encore dans les mémoires et constitue un point d’inflexion de la régulation bancaire et financière. La disparition de Lehman a inauguré un cycle de « re-réglementation », dont l’objectif était de renforcer la transparence et la résilience du système économique et financier.

Mais septembre 2018 a aussi été marqué par le repli des marchés actions après plus de neuf ans de croissance quasi-ininterrompue. Ce changement brutal des conditions de marchés a lourdement pesé sur la performance des départements de trading des grandes banques. Cette sous-performance a conduit certains acteurs à annoncer l’arrêt d’une partie des activités de trading ou le lancement de programmes de revues stratégiques de leurs portefeuilles d’activités.

Cependant, les performances entre les différents acteurs du secteur sont contrastées. Au-delà de l’effet conjoncturel associé à la brusque variation de la dynamique des marchés actions, il semble que des éléments plus structurels redessinent le paysage concurrentiel des BFI. Un clivage entre les BFI européennes et leurs homologues américaines pourrait se faire jour.

S’il est difficile de juger de cette tendance au 4e trimestre sur les seules activités de fixed income (taux, change, crédit), sur lesquelles tous les acteurs
ont été touchés, avec des baisses de revenus comprises entre 15 % et 34 %, il est plus aisé de le constater sur les activités actions, pour lesquelles les BFI américaines ont maintenu ou accru leurs revenus, tandis que les BFI européennes reculaient.

Dans un environnement international de taux bas depuis plusieurs années, tous les acteurs du fixed income ont été confrontés à une baisse structurelle de la demande client, qu’il s’agisse d’opérations de couverture ou d’investissement. A l’inverse, les marchés actions n’avaient pas connu d’ajustement majeur depuis la fin de la crise financière. La hausse des cours et la baisse de la volatilité permettaient de conserver un volume d’activité client élevé.

Cependant, ces deux marchés ont subi une érosion des marges en lien avec la mise en œuvre progressive de nouveaux textes réglementaires : Bâle 3, loi de régulation et de séparation des activités bancaires (séparation des activités de comptes propres et de tenue de marché) et Mifid (directive sur les marchés d’instruments financiers). En augmentant les besoins en fonds propres, en liquidité, en accélérant l’automatisation, la standardisation des transactions et des produits ou en limitant la tenue de marché, les évolutions réglementaires ont influé sur la rentabilité des opérations de marchés.

Ces différents facteurs n’ont pas eu le même impact sur les BFI américaines et européennes. Les acteurs européens n’ont pas pu bénéficier de marchés actions domestiques aussi dynamiques et haussiers que les Américains. De plus, le repli des volumes sur les marchés de taux européens a été plus important que sur les marchés américains, du fait de l’absence de mise en œuvre de l’union des marchés de capitaux et d’une approche du financement de l’économie encore fortement basée sur l’intermédiation bancaire.

Par ailleurs, depuis 2017, les régulateurs américains se sont engagés dans une révision des dispositifs réglementaires applicables au secteur bancaire. L’objectif initial est de simplifier la mise en œuvre des textes, permettre une application moins coûteuse, moins fastidieuse et plus homogène. Parmi les projets, le plus explicite est le projet de la CFTC (Commodity futures trading commission), dénommé « projet Kiss » pour « Keep It Simple & Stupid ». Les différents textes actuellement débattus ou déjà votés ont conduit à remonter les seuils associés à la notion d’acteur systémique et d’exigence prudentielle renforcée (seuil passé de 50 milliards à 250 milliards de dollars de total bilan), réduire la fréquence de reporting des stress tests, par une baisse du nombre de scénarios à tester et une hausse des seuils d’assujettissement à la préparation des tests, et assouplir, sous conditions, l’exercice des activités de trading pour compte propre (la fameuse règle Volcker, renommée pour l’occasion Volcker 2.0).

Ainsi, le retournement du marché actions à la fin de l’année 2018, bien que conjoncturel, s’ajoute à divers éléments structurels et constitue le facteur déclencheur d’analyses stratégiques basées sur la capacité des BFI européennes à rivaliser avec leurs homologues de Wall Street sur le long terme.

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