BANQUES - La vie sans la Bourse

BPCE met fin à l’aventure boursière de Natixis. La cotation reste pourtant la voie royale pour les établissements de crédit majeurs.
Sylvie Guyony et Franck Josselin
Laurent Mignon, président du directoire de BPCE.

Laurent Mignon, président du directoire de BPCE, a tranché : « La cotation aujourd’hui pour une banque ne nous apporte plus d’intérêt stratégique. » Le groupe a décidé de retirer Natixis de la Bourse de Paris. Pour acquérir les 29,3 % qu’il ne détient pas encore, son offre publique d’achat valorise sa filiale 12,6 milliards d’euros, soit « une prime d’environ 35 % par rapport à l’objectif de cours moyen actuel des analystes actions », soulignent ceux de Jefferies qui s’interrogeaient, le 9 février, « notamment sur la justification de la transaction, les synergies potentielles à en tirer, les implications potentielles en termes de croissance externe (s’il n’y a plus d’entité cotée), surtout pour l’activité de gestion d’actifs ». Le groupe argumente : « Dans le cadre de la préparation de son plan stratégique, BPCE veut se doter d’une manœuvrabilité stratégique nouvelle et d’un cadre de fonctionnement simplifié. » Parmi les établissements comparables, le Crédit Mutuel a délisté le CIC en 2017, alors qu’il en détenait déjà 93,14 %. Nicolas Théry, l’actuel président du Crédit Mutuel Alliance Fédérale, qualifie la cotation de « handicap », notamment pour sa « vision court terme du résultat, trimestrielle ». Et d’ajouter : « Avec le CIC, nous avons pu mutualiser les fonctions centrales, avec des centres de services partagés. Avoir des sociétaires responsables de près de 50 milliards d’euros de fonds propres au service de la société, c’est l’essence même du mutualisme. » Il y a cinq ans, le mutualiste voulait « simplifier les structures du groupe et libérer celui-ci des contraintes réglementaires et administratives ».

Le géant bancaire HSBC, qui reste coté, a argué de ces mêmes contraintes lors de sa radiation d’Euronext Paris (lire l’encadré). « Ces arguments sont assez discutables. Ce qui est généralement vécu comme une contrainte, c’est la multiplicité des obligations en matière d’information du public (aussi bien permanente que périodique), mais ce n’est que le pendant des principes directeurs que sont la transparence et l’égalité d’information pour les sociétés cotées, et le contrôle que cela implique », avertit Guillaume Dolidon (lire ‘La parole à…’ page 12). Une banque rencontre globalement les mêmes contraintes que n’importe quelle société cotée. » Pour sa part, le groupe Crédit Agricole a coté sa SA (avec son organe central), puis CASA a introduit en Bourse sa filiale de gestion d’actifs, Amundi. Ce qui reste une possibilité pour BPCE. « Coter une filiale métier offre davantage de lisibilité au marché qu’une holding couvrant plusieurs activités ou encore un organe central, comme cela peut exister en France », pointe Nicolas Darbo, partner chez Accuracy. « Il n’est pas possible de faire avec une banque traditionnelle ce qu’une mutualiste peut faire », insiste Thomas Verdin, directeur associé du cabinet d’audit et de conseil BM&A.

Les effets de la crise

La cotation classique suscite des interrogations plus prégnantes pour le secteur bancaire que pour d’autres, et davantage en Europe qu’aux Etats-Unis ou en Asie, surtout depuis la pandémie. Les craintes suscitées par les créances douteuses creusent la décote boursière. « Le décalage entre la Banque centrale européenne et les établissements de crédit est à son comble : le superviseur continue d’évoquer le risque d’un trillion de ‘non-performing loans’ (NPL), alors que les banques publient des perspectives de plus en plus positives et que les NPL sont en baisse », souligne Jérôme Legras, associé gérant et directeur de la recherche chez Axiom AI. Tant que les banques centrales maintiennent les rendements obligataires au plancher, il est en outre difficile d’envisager un relèvement durable des valeurs bancaires. Même si JPMorgan, Goldman Sachs, Bank of America ou Morgan Stanley s’en sortent mieux que BNP Paribas ou la Société Générale. « Le niveau des taux d’intérêt reste un facteur majeur de différenciation des valorisations : les banques américaines s’échangent bien au-dessus de la valeur comptable, là où celles de la zone euro sont autour de 60 % et les banques anglaises, avec les incertitudes du Brexit, autour de 65 % », analyse Jérôme Legras.

Le secteur financier risque de rester sous pression. « L’ensemble des banques, surtout européennes, cotent largement en dessous de leurs fonds propres suite aux crises de 2008 et de 2011 et à la hausse des exigences réglementaires qui a suivi, souligne Nicolas Darbo. Cette situation génère une pression accrue sur le management des banques. » Cette décote n’incite pas à avoir recours aux marchés actions. « Au début des années 2000, les trois quarts de la performance des valeurs bancaires provenaient de la progression des cours, constate Gwenhaël Le Boulay, directeur associé senior au Boston Consulting Group. Après la crise financière de 2008, qui ne s’est terminée pour les banques qu’en 2013, la situation s’est inversée. C’est maintenant leur dividende qui procure la plus grande partie de leur performance. » Or, avec la crise du Covid-19, les banques ont perdu la liberté de distribuer leurs résultats ou de pratiquer des rachats d’actions, pour les exercices 2019 et 2020, et au moins jusqu’au 30 septembre prochain dans le cas des européennes.

Comme toute entreprise, une banque évalue le coût de son financement selon les possibilités offertes. « Economiquement, une structure a plutôt intérêt à se financer via les marchés d’actions plutôt que de payer des intérêts élevés », note Thomas Verdin. Toutefois, avec des taux extrêmement bas, le financement obligataire revient moins cher. De plus, les investisseurs savent qu’une partie du résultat restera dans la banque du fait des contraintes prudentielles : elle ne leur reviendra pas. Thomas Verdin rappelle qu’en 2020, « les actionnaires se sont aperçus que l’argent qui avait été mis de côté par les banques depuis 2014, et le passage de Bâle 2 à Bâle 3, a réellement servi à absorber la crise sanitaire ». Enfin, « la différence entre actions et obligations existait sous la réglementation de Bâle 2. Sous Bâle 3 complètement mis en œuvre, les obligations et prêts convertibles en actions sont davantage intégrés dans les fonds propres. Aujourd’hui, la question de l’utilité de la cotation se pose plus qu’avant 2014 », dit-il. Une banque n’a pas besoin d’être cotée : en n’intervenant que sur le marché obligataire, elle peut continuer à lever des fonds en allégeant ses contraintes.

Le rapport entre coût et bénéfice de la Bourse semble jouer en faveur du non-coté. Cependant, ce n’est pas neutre en termes de financement, et cela peut aussi faire douter les clients, voire le régulateur. « Même sans réduction de capital, le régulateur a tendance à considérer que le retrait de la cote constitue une moindre ressource. Il est dès lors, au moins au début, très attentif, même si cela n’est pas décrit dans les textes, complète un professionnel. Pour Natixis, la sortie de la cote n’entraînera pas une baisse des obligations réglementaires. D’autant que la banque a une activité très différente. Le régulateur ne voudra pas que son activité soit mélangée à celle du reste du groupe. »

Etre coté reste un cadre standard pour lever des fonds et se donner de la visibilité, voire une forme d’autonomie, tout en garantissant notamment transparence et gouvernance adaptées. Les grandes banques ne disposent pas de beaucoup de choix. « Si elles ne sont pas cotées, elles peuvent être détenues pas leurs clients (c’est le modèle mutualiste) ou par des acteurs de ‘private equity’ (ou des familles privées). Or ce dernier cas reste rare et concerne souvent des acteurs de petite taille ou de taille moyenne », note Gwenhaël Le Boulay. Ces derniers ont désormais tendance à privilégier les Spac. Ces special purpose acquisition companies, popularisées en France par Jean-Pierre Mustier, Bernard Arnault et Tikehau Capital, qui vont coter Pegasus sur Euronext Amsterdam, sont déjà très en vogue à Wall Street. C’est d’ailleurs l’option retenue par Perella Weinberg Partners. L’opération, ce premier semestre, valorise cette petite banque d’affaires 975 millions de dollars. « Le développement des Spac, structures proches d’un mécanisme de fonds tout en étant cotées, pourrait se poursuivre, explique l’associé d’Accuracy. Dans un système financier qui va se restructurer, ce genre de véhicule pourra abriter des actifs de valeur mis en vente. »

Dans ce contexte, la consolidation transfrontalière, tant attendue, nécessite aussi une liquidité des fonds. Mais surtout, être coté offre toujours la possibilité d’un échange d’actions entre acteurs majeurs, même si cette option n’a pas servi jusqu’à présent.

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STRATÉGIE, COTATION, POLITIQUE DE DIVIDENDE : CHEZ HSBC, ÇA DÉMÉNAGE !

La page est tournée : les actionnaires ont vendu sur le LSE (la Bourse de Londres) leurs actions cotées à la Bourse de Paris (Euronext) et détenues dans le système de compensation Euroclear France. HSBC est sorti du marché actions français, une radiation décidée après l’examen de différents critères. Le géant bancaire a fait valoir l’existence de « contraintes administratives liées à sa cotation sur Euronext Paris », mais le faible volume d’opérations sur son titre a surtout pesé sur ce choix. Mettre un terme à cette cotation « n’a pas d’incidence » sur ses activités courantes en France et en Europe continentale, a-t-il précisé. Et pour cause : HSBC réalise 90 % de ses résultats en Asie, a décidé de la vente de son réseau en France (sans avoir abouti à ce jour) et annoncé un changement de modèle. HSBC Holdings Plc a l’intention de réduire sa taille et ses coûts, avec 35.000 emplois supprimés dans le monde entre 2020 et 2023, et 82 agences fermées au Royaume-Uni (il lui en restera 511). Il entend surtout limiter ses revenus liés au taux d’intérêt en développant les commissions, appuyées sur quelque 1.500 milliards de dollars de dépôts de clients. Les investisseurs ont apprécié ce virage stratégique, HSBC a cependant perdu environ la moitié de sa valeur en 2020 au LSE. A la publication de ses résultats annuels, le 23 février, la crainte résidait dans une nouvelle politique de dividende, après que HSBC en a suspendu le versement début 2020, comme d’autres banques, britanniques, à la demande de leurs autorités de régulation. Le groupe reste coté, à Londres, mais aussi à Hong Kong et à New York.

Sylvie Guyony

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