L’immobilier européen se prépare à des temps plus difficiles

Les analystes n’imaginent cependant pas encore une crise dure, qui s’étendrait au-delà du secteur.
Fabrice Anselmi
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Dans le résidentiel européen, la chute des prix touche les pays où les prix ont explosé ou ceux très exposés aux prêts à taux variables.  -  (RK)

L’Europe, dont les statistiques ne sont pas encore disponibles à une échelle globale, se prépare à une crise sur plusieurs marchés immobiliers résidentiels. La tendance est générale : -4% à -5,5% sur les prix depuis le point haut au Royaume-Uni et en Allemagne où les analystes attendent entre -10% et -20% de baisse totale ; -7% au Pays-Bas ; -10% en six mois au Danemark ; et même -17% en Suède où le risque est de dépasser -20%... Les turbulences ont aussi commencé dans l’immobilier commercial où les niveaux de leviers exposent toujours les propriétaires à un retournement plus brutal.

Incertitudes macroéconomiques

Dans l’immobilier résidentiel, la chute des prix a commencé par les pays où les prix étaient le plus montés - Danemark et Suède - ou qui sont les plus exposés aux prêts à taux variables : Finlande, Norvège, Australie, Japon, Portugal et Canada selon l’OCDE. Les hausses rapides des taux par les banques centrales ont retourné ces marchés. Le cas du Royaume-Uni est particulier, avec seulement 20% de taux variables, mais des prêts à taux fixes courts (2 ou 5 ans) renouvelables, qu’il faudra refinancer d’ici à 2025-2026, donc à de nouvelles conditions probablement plus coûteuses. Avec une proportion de prêts à taux variables globalement inférieure, même en Italie et en Espagne désormais, les pays d’Europe du Sud semblent a priori moins exposés. Et la France très peu sous cet angle du financement.

«Il faut effectivement bien distinguer les pays à taux variable, indique François Rimeu, stratégiste senior de la Française AM. Avec le récent durcissement des conditions, les volumes de transaction ont chuté car les vendeurs ne veulent pas vendre en ce moment, mais la question est de savoir combien de temps cela peut durer.» Le temps de transmission de la hausse des taux au début des ventes forcées peut être très long. «La France a aussi un arrêt quasi-total de la production de crédits immobiliers à cause du taux d’usure, recalculé trimestriellement avant le 1er février», rappelle Olivier Seux, directeur du Real Estate chez Mirabaud AM.

La Suède est particulièrement vulnérable, «à cause de niveaux d’endettement des ménages extrêmement élevé (200% du revenu disponible annuel en 2022 selon l’OCDE), et d’une majorité de prêts hypothécaires à taux variable ou à taux fixe à court terme, (…) avec environ la moitié des 60% de propriétaires obligés de refinancer leur prêt cette année», rappelle Eva Sun-Wai, gérante global macro chez M&G, s’inquiétant du signal envoyé aux autres marchés et à l’économie. Les ménages suédois sondés par la banque SEB semblent pourtant espérer un rebond des prix.

«Si l’inflation rebaisse très vite cette année, et si les banques centrales n’ont plus de raisons de garder les taux au sommet très longtemps, on peut penser que l’ajustement du marché sera très facilement absorbable», poursuit François Rimeu. Si en revanche les banques centrales maintiennent des taux très restrictifs jusqu’à fin 2024 alors que les effets se propagent toujours avec un décalage, la correction sur l’immobilier pourrait être plus forte. Avec des conséquences dommageables sur la construction, la promotion, les fournisseurs de matériaux, etc. «L’emploi dans ce secteur est toujours un très bon indicateur, encore plus dans un contexte où les constructeurs veulent retenir leurs salariés, mais pour l’instant il ne bouge pas, même aux Etats-Unis malgré les 5% de baisse des prix», ajoute François Rimeu. Une hausse plus globale du chômage aurait aussi des effets en chaîne sur la solvabilité des emprunteurs et l’immobilier.

Facteurs de soutien ?

Les spécialistes avancent tout de même quelques différences de contexte avec les précédentes crises immobilières. D’abord, le secteur pèse relativement moins dans l'économie. Pour Olivier Seux, «il existe plusieurs facteurs de soutien structurels : l’augmentation des divorces exerce une pression d’ordre démographique sur la demande de logements comme on le voit en France». L’expert de Mirabaud AM évoque aussi «les réglementations environnementales – avec ZAN (zéro artificialisation nette) 2021 qui limite l’étalement urbain à une échelle européenne et exerce une pression sur les fonciers et les immeubles existants – et sociales, avec les bailleurs tenus d’acheter des biens». Là où il y a des pénuries de logements, Olivier Seux ne voit pas trop les tendances changer à long terme, «même si le resserrement monétaire va impliquer une correction conjoncturelle au-dessous des niveaux de prix des dernières années pendant quelques temps».

D’autres variables d’ajustement sont susceptibles d’éviter un blocage du marché. «Le business model des promoteurs européens ne les expose pas autant aux taux qu’aux Etats-Unis puisqu’en principe ils n’achètent pas le foncier avant d’avoir obtenu le permis de construire. Les ménages continuent d’acheter en adaptant la surface ou la localisation. L’essor du télétravail répartit mieux la demande. La demande institutionnelle peut se reporter sur le résidentiel quand l’immobilier commercial souffre», énumère Olivier Seux. Enfin, dans les pays à taux variables ou renouvelables comme au Royaume-Uni ou en Espagne, certains ont évoqué la possibilité de voir les banques ajuster les traites mensuelles en allongeant les maturités des prêts.

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