Les Etats-Unis se privent du signal prix du carbone

Marché du carbone
Ingrid Hazard, à Boston

C’est un serpent de mer. L’instauration d’un système fédéral permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) via des incitations financières et une tarification du carbone a fait long feu outre-Atlantique. Et le récent échec au Sénat de la loi Build Back Better, promesse de campagne de Joe Biden qui prévoyait d’augmenter la valeur du dioxyde de carbone jusqu’à 85 dollars par tonne et d’investir 550 milliards de dollars pour réduire les émissions de CO2, n’en est que la récente illustration.

Deuxième pays émetteur de GES avec près de 6 milliards de tonnes équivalent CO2 en 2020, les Etats-Unis ont promis de diviser par deux leurs émissions de carbone d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 2005. Plusieurs tentatives de créer un système de plafonnement et d’échange de carbone à l’échelle fédérale ont déjà échoué. Sous l’administration Obama, l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) a tenté de créer un système de plafonnement et d’échange avec le Clean Power Plan. Ce système, qui aurait donné un prix au carbone, a été contesté devant les tribunaux et in fine suspendu par la Cour suprême, laquelle a remis en cause l’autorité législative de l’agence. Le projet de loi sur le marché fédéral du carbone – The American Clean Energy and Security Act de 2009 – a, lui, été adopté à la Chambre des représentants mais n’a pas trouvé assez de soutiens au Sénat. Depuis, de multiples projets de loi sur le prix du carbone ont été proposés sans succès. Le retour au pouvoir des démocrates en 2020 a relancé les espoirs. Le premier jour de son mandat, Joe Biden a émis un décret rétablissant l’estimation des coûts des émissions de CO2 à environ 51 dollars par tonne, contre 7 dollars sous l’administration Trump, sans parvenir toutefois à imposer de prix carbone. Même les efforts législatifs fédéraux les plus récents de 2021 se sont limités aux normes et aux crédits d’énergie propre qui seraient échangés et non aux crédits carbone en tant que tels.

Initiatives porteuses

En l’absence d’action fédérale, 13 Etats ont mis en place des programmes actifs de tarification du carbone par défaut. La Californie fait figure de pionnière avec son programme multisectoriel de plafonnement et d’échange qui vise à réduire les émissions de 40 % en dessous des niveaux de 1990 d’ici à 2030. Les crédits carbone devraient y augmenter de 66 % pour atteindre 41 dollars. Les ventes aux enchères des quotas ont généré 3,9 milliards de dollars en 2021 et 18,2 milliards depuis sa création en 2013. Sur la côte est, la Regional Greenhouse Gas Initiative (RGGI) regroupe 11 Etats – Connecticut, Delaware, Maine, Maryland, Massachusetts, New Hampshire, New Jersey, New York, Rhode Island, Vermont, Virginie – rejoints en 2022 par la Pennsylvanie. Grâce à ses quotas d’émission de CO2, la pollution des centrales électriques des membres du RGGI a chuté de 47 % de 2008 à 2017. Pour Roman Kramarchuk, analyste chez S&P Global Commodity Insights, il existe bien un ETS (emission trading system) dans le nord-est des Etats-Unis et en Californie qui représente 13 % des émissions du secteur électrique américain, mais 87 % ne sont pas couvertes. Autre écueil, sans signal prix du carbone, les Américains se privent de l’outil le plus efficace pour décarboner l’économie et atténuer les externalités négatives créées par les émissions, selon Sanjay Patnaik, directeur du centre sur la régulation et les marchés de Brookings.

Les Etats-Unis risquent donc d’avoir du mal à tenir leurs promesses. Le Rhodium Group prévoit que, avec les politiques actuelles, ils ne réduiront leurs émissions que de 20 % à 22 % par rapport aux niveaux de 2005 d’ici à 2025, et de 20 % à 26 % d’ici à 2030, soit la moitié de l’objectif fixé. Pour Sanjay Patnaik, « même avec les dispositions de Build Back Better, il aurait été difficile d’atteindre une réduction de 50 % sans prix du carbone. Maintenant que le projet de loi est mort, ce sera de plus en plus improbable ».

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