La blockchain est en train de révolutionner la finance

Anne Maréchal, avocate associée chez De Gaulle Fleurance et Elodie Trevillot, associé-gérant de la Banque Delubac & Cie, explique comme la blockchain s’est immiscées dans tous les pans de la finance.
avocate associée, De Gaulle Fleurance
associé-gérant de la Banque Delubac & Cie
blockchain-DeFi crypto
 -  Pixabay

Nombreux étaient ceux qui confondaient les « cryptomonnaies » et la blockchain et pensaient que l’on avait affaire à un effet de mode surtout générateur de fraude et de blanchiment lorsqu’a été votée la loi Pacte en mai 2019, cadre législatif précurseur qui a directement inspiré la réglementation européenne Mica et très probablement la future réglementation américaine. Six ans plus tard, la technologie blockchain renouvelle la finance à un rythme stupéfiant. Rien ne semble pouvoir freiner ce mouvement de fond puisque tous les outils juridiques sont désormais, dans le sillage de la loi Pacte en France, en place au niveau européen et que des réglementations sont à l’étude ou en passe d’être adoptées dans de nombreux pays.

Dans les paiements tout d’abord : les transactions en stablecoins ont dépassé celles des géants des paiements. En 2024, le volume quotidien des transactions en stablecoins a atteint près de 100 milliards de dollars, un niveau largement supérieur à celui des transactions effectuées par les réseaux Visa (environ 40 milliards de dollars de transactions quotidiennes) et Mastercard (près de 25 milliards de dollars).

Alternative aux systèmes de paiement traditionnels

Ces cryptoactifs, en tout cas ceux adossés à une monnaie fiduciaire s’imposent progressivement comme une alternative aux systèmes de paiement traditionnels, notamment dans les transactions transfrontières. Les paiements sur la blockchain, d’abord cantonnés aux plateformes de négociation de cryptoactifs, se développent en dehors de cette sphère. Leurs avantages nombreux en termes de rapidité, de coût, de fiabilité et de transparence augurent d’un essor fulgurant. Il n’est donc pas étonnant qu’aujourd’hui de plus en plus d’établissements bancaires et financiers se lancent dans la création de leurs propres stablecoins.

Dans les services d’investissement ensuite : il est aujourd’hui possible de créer une entreprise d’investissement sur la blockchain et d’y proposer non seulement des cryptoactifs mais aussi des instruments financiers (actions, obligations, parts de fonds), de l’or, voire de l’immobilier ou des objets d’art tokénisés, des crédits carbone… Le tout sur une même plateforme sous réserve d’avoir obtenu les agréments nécessaires prévus par l’arsenal juridique très complet - agrément en qualité de prestataire de services sur cryptoactifs (PSCA), devenu obligatoire depuis l’entrée en vigueur du règlement Mica au 1er janvier dernier, ou agrément en qualité d’entreprise d’investissement, exemption au titre du Régime pilote européen.

Le Régime pilote européen proposé à l’initiative de la France représente dans ce domaine une avancée extraordinaire puisqu’il permet de faire fonctionner sur la blockchain un véritable marché secondaire pour négocier des titres financiers dans le cadre d’un carnet d’ordres mais aussi de réaliser le règlement livraison des titres (c’est le SNR-DLT) sur cette même plateforme et de procéder aux paiements grâce aux stablecoins existants ou à ceux que l’on peut émettre soi-même si l’on demande l’agrément d’émetteur de monnaie électronique (les émetteurs de jetons de monnaie électronique peuvent obtenir cet agrément depuis le 30 juin 2024). L’exemple du géant américain Circle est significatif puisqu’il a obtenu cet agrément le jour même de l’entrée en vigueur de ce texte en France afin de profiter de cette réglementation pour développer ses activités en Europe.

Tokenisation

Et que dire de la tokenisation des actifs qui permet d’ouvrir des investissements jusqu’ici réservés à un public réduit à une plus large part d’investisseurs, notamment sur l’immobilier. Comment imaginer que ces plateformes innovantes ne vont pas se développer rapidement alors qu’elles vont rendre accessible l’investissement à un moindre coût (la suppression des intermédiaires y compris pour le règlement-livraison des titres permet de réduire drastiquement les coûts), financer l’économie et notamment les PME plus facilement que le crédit bancaire, émettre des obligations vertes ou encore rendre liquide l’immobilier, tout en permettant de solliciter un public d’investisseurs traditionnel mais aussi élargi aux détenteurs de cryptoactifs ?

Il est probable également que les levées de fonds en cryptoactifs (ICO), nombreuses dans les années 2016/2018 puis assez rares, redeviennent un moyen significatif de financement pour les entreprises (éventuellement en parallèle avec des moyens traditionnels) tant les porteurs d’actifs numériques sont actuellement à la recherche de projets innovants, sérieux et rentables pour placer leurs avoirs alors que la réglementation MICA encadre désormais ces opérations en Europe, conférant un label de qualité et de sérieux aux meilleurs projets qui seront autorisés par les régulateurs nationaux.

Les marchés financiers devraient également être profondément touchés : déjà des contrats sont en cours de négociation entre des bourses traditionnelles et des blockchain puissantes pour faire fonctionner la négociation de titres financiers directement sur la blockchain avec un système de règlement-livraison. Là encore, comment imaginer que cette technologie ne va pas rendre obsolètes les systèmes traditionnels plus coûteux, plus lourds et moins efficients ? Les plateformes diversifiées évoquées plus haut vont donner en effet un accès à la « cotation » de toutes ces catégories d’actifs, rendant les opérations de négociation accessibles en quelques clics quels que soient les actifs considérés, y compris les moins liquides actuellement comme l’immobilier, l’or ou les métaux précieux.

Risque de souveraineté

La monnaie va également être au coeur de ces évolutions. Le fort développement des stablecoins comme moyen d’échange dans les transactions nationales et mondiales crée un risque de souveraineté pour les Etats. Il semble essentiel de soutenir le développement des stablecoins adossés à la monnaie nationale de l’Etat pour éviter la domination du dollar par exemple, les stablecoins adossés au dollar ayant pris une importance majeure. Cela semble particulièrement préoccupant pour les stablecoins Euro peu liquides et dix fois moins échangés que les stablecoins adossés au dollar. Il semble de ce point de vue urgent de favoriser le développement des stablecoins adossés à l’Euro pourvu que les émetteurs soient régulés en Europe (afin que sa maîtrise reste en Europe ainsi les garanties données aux Européens) au lieu de miser sur la création hypothétique et en tous cas éloignée d’un euro numérique qui suscite l’hostilité de beaucoup et pourrait tout simplement arriver trop tard ?

Enfin, le monde de la gestion d’actifs considère lui-même que la blockchain est son avenir. On voit les fonds ETF se développer fortement aux Etats-Unis et il semble désormais certain que la technologie blockchain va permettre à la gestion d’actifs de se diversifier dans plusieurs directions : via l’investissement dans des fonds investis en cryptoactifs ou en sociétés actives dans ce domaine, via la gestion d’actifs numériques (comme on gère un portefeuille d’actifs traditionnels), via la tokenisation de fonds monétaires ou encore via la gestion des actifs directement via l’outil blockchain pour gagner en vitesse, faire baisser les coût et profiter de la fiabilité et de la transparence de cet outil.

De nombreux projets existent tant en France que dans le monde pour faire croître cette nouvelle finance. Il semble que les nouveaux entrants, dont certains sont désormais aussi puissants que les grandes banques européennes, prennent de l’avance alors que les institutions financières traditionnelles hésitent encore à franchir le pas. Ne dit-on pas que ce ne sont pas les fabricants de charrettes qui ont inventé la voiture ? Il semble donc très dangereux de tarder à prendre conscience de ces évolutions qui risquent de rendre obsolètes les modèles actuels, et ce beaucoup plus rapidement qu’anticipé. La France a su se doter d’un cadre juridique permettant aux acteurs nationaux de prendre de l’avance et de bénéficier d’une réputation d’excellence. L’Europe a aujourd’hui tous les outils pour faire face à ces défis. Sachons conserver ces atouts et nos talents maintenant que le reste du monde réalise qu’il ne faut pas ignorer cette révolution.

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