Rothschild, les dessous d’un conflit familial

Le litige sur l’usage du nom de famille, qui pousse Benjamin à assigner David pour concurrence déloyale, couve depuis près d’une quinzaine d’années.
Alexandre Garabedian

L’assignation est arrivée sur le bureau de David de Rothschild le 30 mars. Benjamin et son groupe Edmond de Rothschild (EdR) y accusent de concurrence déloyale la branche cousine de la famille, représentée en l’espèce par David, Eric et Edouard: Paris-Orléans, société-mère de la banque d’affaires Rothschild & Cie, aurait lancé une OPA sauvage sur le célèbre patronyme. La holding se présente à ses clients en tant que «groupe Rothschild», sans prendre désormais la peine d’utiliser un élément (préfixe, suffixe) qui permette de différencier les deux maisons, comme le voulait la tradition.

Le lien a vite été fait entre l’offensive judiciaire, révélée par Challenges, et la prise de pouvoir d’Ariane, épouse de Benjamin, devenue en janvier patronne opérationnelle du groupe Edmond de Rothschild après deux années tumultueuses. Ce serait oublier qu’entre les deux maisons, le conflit couve en fait depuis près d’une quinzaine d’années.

La première alerte sérieuse remonte à 2001. EdR crée à cette époque une banque privée en ligne, e-Rothschild, dont le «e» constitue à la fois une référence à Edmond et à internet. Lancée à la veille des attentats du 11 septembre, l’initiative sera un échec. Mais Paris-Orléans n’apprécie guère et assigne la branche cousine. L’affaire se réglera à l’amiable en 2003, par un désistement d’instance et un accord, couvert par le secret des affaires, entre les deux maisons. Elles y reconnaîtraient, sur un pied d’égalité, leur contribution mutuelle à la notoriété du nom Rothschild. Quelle est la portée juridique de ce gentlemen’s agreement ? «Le texte existe, mais il ne s’agit pas d’un protocole d’accord à proprement parler, et il n’anticipait pas les évolutions à venir ni l’internationalisation croissante des métiers», assure un bon connaisseur.

Au fil des ans, en effet, les modèles d’affaires des deux groupes se mettent à converger. Edmond de Rothschild, réputé pour sa gestion privée, développe des activités de corporate finance en lien avec sa clientèle d’entrepreneurs. Ténor du M&A, Rothschild & Cie pousse ses feux dans l’asset management.

Sur le plan du droit, pourtant, pendant toutes ces années, c’est bien la banque de l’avenue de Messine qui dépose la marque «Rothschild», sans autre mention, dans une quarantaine de pays dont la France. Elle a même valorisé 151 millions d’euros dans les comptes de Paris-Orléans le nom commercial Rothschild, à l’occasion d’une opération d’apport d’actifs en 2008.

Au sein de la famille, toutes branches confondues, un comité est par ailleurs chargé de défendre le nom vis-à-vis des tiers, dans les services non financiers comme le vin. Pour le compte de cette structure, la branche anglaise NM Rothschild va notamment se charger des démarches juridiques visant à protéger le site rothschild.com… et se retrouver du même coup propriétaire du nom de domaine. Lequel passera chez Paris-Orléans à l’occasion du rapprochement des deux branches, parachevé en 2012.

A partir de 2011, Edmond de Rothschild se manifeste. L’usage du site rothschild.com comme vitrine des activités de Rothschild & Cie pose problème à Benjamin et Ariane. Des discussions s’engagent, et une médiation est même menée tout au long de 2013, sans succès. «Une manœuvre dilatoire», considère, a posteriori, un observateur. La publication, en mars 2015, d’un document destiné aux investisseurs où Paris-Orléans se présente comme «la maison mère du groupe Rothschild», fait office de chiffon rouge.

Le 8 avril, Paris-Orléans a répondu en se rebaptisant Rothschild & Co. Le suffixe a son importance, mais l’initiative n’éteint pas la procédure en cours, qui plaide la concurrence déloyale. Comment ? En essayant de démontrer que, malgré tous les dépôts de marque, nul ne peut s’accaparer un nom de famille. Et que la confusion entretenue chez certains clients est le fruit d’une stratégie délibérée depuis dix ans.

Au-delà des débats juridiques, la psychologie tient une lourde part dans l’affaire. A 72 ans, David de Rothschild se pose en patriarche, alors qu’Ariane et Benjamin sont de la génération suivante. Mais au plan capitalistique, le groupe Edmond de Rothschild se flatte d’être contrôlé quasi-exclusivement par Benjamin et sa mère, là où un concert familial élargi aux associés gérants de Rothschild ne détient que 48% de Paris-Orléans. La holding, devenue une commandite en 2012, compte toutefois comme associés deux sociétés entièrement aux mains de la famille.

Et aux questions sur sa succession, David de Rothschild a répondu le 8 avril au Figaro que son fils Alexandre «aura l’âge et l’expérience pour assurer la continuité familiale à la tête du groupe» lorsque lui-même prendra sa retraite en 2017 ou 2018.

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