
Les banques sur la défensive

Les banques ne sont plus seules. Historiquement, elles maîtrisaient l’ensemble des chaînes d’activité. Désormais, propulsés par les évolutions technologiques et réglementaires, de nouveaux entrants changent la donne. Les technologies offrent certes « de nombreuses opportunités de développement aux établissements » traditionnels, mais avec la seconde directive sur les services de paiement (DSP2), « le marché s’ouvre à de nouveaux acteurs qui s’intègrent dans la chaîne de valeur, et engendre l’open banking (ouverture des systèmes d’information des banques et partage des données clients) », pointe KPMG dans « Défi pour la transparence », publié ce 28 juin. Ce qui ne va pas sans risques. Si Barclays envisage l’open banking comme un moyen d’enrichir son modèle centré sur le client, « les groupes bancaires européens s’orientent vers différents choix stratégiques », résume le cabinet d’audit et conseil qui consacre pour la première fois un chapitre aux fintech dans la douzième édition de son étude.
Les fintech sont considérées soit comme des concurrentes sur certains segments de marché (paiements, financement, gestion d’actifs, assurance), soit comme des partenaires avec différentes formes de coopération possibles, explique KPMG. Mais le fait est que « les stratégies d’acquisition sont des solutions rapides permettant à la fois de diminuer l’intensité concurrentielle sur un marché et d’acquérir la base client des sociétés rachetées, leur réseau de distribution, leur technologie ainsi que les talents associés », relève KPMG. Voire « de stimuler les équipes en interne », estime Mikaël Ptachek, responsable de la practice fintech du cabinet. Dans ce contexte, « les banques françaises apparaissent comme plus offensives en termes d’acquisitions, constate-t-il. En 2017, les rachats de fintech par les établissements français ont représenté un demi-milliard d’euros – notamment Compte Nickel par BNP Paribas, KissKissBankBank par La Banque Postale, Pumpkin par Crédit Mutuel Arkéa, Dalenys par BPCE et Credit.fr par Tikehau Capital. »
Entre disruption et collaboration
Pour autant, « à ce jour, les fintech ne sont pas fondues dans les groupes qui les ont acquises », insiste Mikaël Ptachek. Sur d’autres marchés européens, les banques les considèrent davantage comme des partenaires. HSBC voit dans les perspectives qu’ouvrent les fintech la possibilité de réduire des coûts et de simplifier des procédures liées aux systèmes d’information. « Une démarche d’innovation se met en place. Les chemins sont variés. Tous les groupes sont dans une phase de “POC” [proof of concept, NDLR], souligne Mikaël Ptachek… et se gardent de dévoiler les innovations à venir. ING précise, par exemple, avoir réalisé des essais avec une centaine de fintech, dont 34 n’ont pas abouti. »
Les banques favorisent ainsi l’émergence d’un écosystème autour d’elles. Et développent pour la plupart des fonds dédiés, incubateurs ou accélérateurs. Comme Crédit Agricole avec CA Ventures (100 millions d’euros), ING s’est doté d’un fonds d’investissement (300 millions) dans des start-up prometteuses : « Sur 139 fintech partenaires mentionnées dans son rapport, 21 ont bénéficié d’investissements en capital », compte KPMG. Pour sa part, Nordea mentionne une progression de ses investissements dans l’intelligence artificielle (IA) ainsi qu’un partenariat avec Apple Pay et plusieurs fintech. La posture n’est pas la même face à tous les nouveaux intervenants dans les services financiers.
Des géants technologiques
Le secteur bancaire change de phase : « De l’hégémonie à un nouveau triptyque “Banque/Fintech/Gafa-Batx” », écrit KPMG. Les géants des technologies, les américains Google, Apple, Facebook, Amazon, et les chinois Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi, sont considérés par le PDG d’ING, Ralph Hamers, comme une « menace » : les « plus gros disrupteurs du digital ». Selon lui, ces « Big-Tech » ont des obligations réglementaires plus faibles, notamment pour l’identification des clients, les risques de fraude et de cybersécurité. Il souhaite que la réglementation soit rééquilibrée par la mise en place de règles équitables et loyales. BBVA les voit déjà en concurrents des banques, relève KPMG. Dès lors, la course à la digitalisation apparaît comme une question de survie pour les acteurs historiques.
« Lorsque les solutions des fintech ou des géants technologiques captent une partie de la chaîne de valeur bancaire, les banques peuvent répondre par la production d’offres similaires », remarque KPMG. Ainsi, pour contrer le paiement sans contact de type Apple Pay ou Google Pay, HSBC a mis en place PayMe, à Hong Kong. RBS, en partenariat avec IBM, a conçu un agent conversationnel pour répondre aux questions les plus fréquentes des clients, sans délai de traitement et à n’importe quel moment. Deutsche Bank dispose des robo-advisors Wise dans la gestion d’actifs et Robin dans la banque privée. La banque allemande utilise aussi la robotique et l’IA pour automatiser des processus auparavant manuels, tout en réduisant le coût et les erreurs. Sa compatriote Commerzbank annonce pour sa part sa volonté de digitaliser 80 % de ses process métiers d’ici 2020. « De son côté, Santander a développé des fonctionnalités qui s’apparentent à celles de solutions offertes par des fintech telles que des néo-banques ou des agrégateurs », ajoute KPMG, qui fait référence à la filiale OpenBank du groupe en Espagne. Parmi tous les acteurs européens passés au crible par KPMG, ING constitue « un exemple marquant des enjeux d’adaptation des banques », écrit le cabinet, avec son programme Pace qui a permis de « former 4.600employés à des méthodes de travail et de développement agiles ».
La transformation actuelle ne peut être réalisée sans prendre en compte les enjeux de ressources humaines. Or, elle est d’autant plus importante que les attentes des clients ont changé. Santander, BBVA, RBS, Barclays, etc. soulignent l’évolution significative de la relation, essentiellement autour des services, avec des consommateurs « nomades ».
Simplification du fonctionnement, revue des processus, rationalisation des outils, meilleure gestion des risques, amélioration de l’image de la banque, etc., la digitalisation est une manière, pour les banques européennes, de faire des économies à terme (lire l’entretien). Et si les investissements préalables sont trop élevés, certaines unissent leurs forces. Ainsi, BNP Paribas, la Société Générale, Natixis et Barclays ont pris une participation aux côtés de plus de quinze autres établissements au sein de la fintech Symphony, la messagerie cryptée pour la finance. Nordea a rejoint le consortium we.trade (ex-Digital Trade Chain) afin d’explorer les possibilités de la blockchain. Enfin, le Crédit Agricole, ING, Barclays, Credit Suisse, RBS, UBS, la Société Générale et Natixis participent au consortium R3, en collaboration avec des fintech qui associent des technologies fondées sur la blockchain. L’objectif est de comprendre les possibilités offertes par ces technologies en en sécurisant l’accès.
Bien mieux qu’hier
KPMG le rappelle : « Les politiques de restructuration en cours vont permettre de réaliser des économies de coûts supplémentaires à moyen terme. » En 2017 déjà, le coefficient d’exploitation (coex) des 17 banques étudiées s’améliore grâce à une hausse des revenus conjuguée à une maîtrise des charges d’exploitation (regroupement des expertises, technologie et dématérialisation, agilité et simplification), sauf pour deux d’entre elles : la Société Générale et Nordea. Pour la française (lire L’Agefi Hebdo du 21 juin), la dégradation du coex s’explique notamment par l’accord transactionnel avec LIA (Libyan Investment Authority ) conclu en 2017 et l’impact positif de la cession des titres Visa en 2016.


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