
Les autorités tentent d’éclairer la supervision bancaire face au coronavirus

Après les injections de liquidités et les réductions des coussins prudentiels annoncées par la Banque centrale européenne (BCE) le 12 mars, l’Autorité bancaire européenne (EBA) a tenté mercredi d’expliquer comment les banques de l’Union européenne (UE) pourraient appréhender du point de vue réglementaire et comptable les moratoires que les Etats vont leur demander d’appliquer sur les prêts aux entreprises et aux particuliers face aux conséquences de l’épidémie Covid-19. Le superviseur s’attaque ici à l’impact au regard de la classification prudentielle des prêts en défaut et de l’identification des prêts en restructuration.
Au sens des directives internationales de Bâle 3, un prêt passe en «défaut» pour tout retard de paiement (capital ou intérêts) de plus de 90 jours, ce qui entraîne mécaniquement pour la banque une consommation accrue de fonds propres (pondération standard portée à 150%). Au sens de la supervision unique européenne, un prêt non performant (NPL) présente un impayé de 90 jours, ou de 30 jours pour ceux ayant déjà fait l’objet d’une restructuration (forbearance), sachant que le régulateur souhaite maintenir l’exposition des banques aux NPL au-dessous de 5% et imposera un provisionnement progressif (à partir de 2021) jusqu’à 100% de ces prêts. «La question est bien, avec par exemple un moratoire de trois mois, de savoir si tous les prêts concernés passent en défaut ou en NPL, avec le risque de mettre en difficulté ou en résolution plusieurs banques en même temps, alors que des mesures publiques de soutien accompagnent ce moratoire», résume Thomas Verdin, associé du pôle banque du cabinet BM&A.
Enfin, la norme comptable internationale IFRS 9 a introduit en 2018, entre la catégorie de prêts de niveau 1 (sans problème) et la catégorie de niveau 3 (avec impayé et donc provision pour dépréciation élevée), la catégorie de niveau 2 correspondant à des prêts dont la situation s’est fortement détériorée sans qu’ils soient en cessation de paiement : «Ces prêts demandent une certaine provision, par exemple de 10%, et on peut imaginer qu’ils concernent beaucoup de particuliers et d’entreprises dans la situation de choc actuelle», ajoute Simon Outin, gérant-analyste spécialisé chez Allianz GI.
Evaluer la qualité de crédit et identifier les cas particuliers
L’EBA part du principe que les Etats vont contrôler la situation économique : «Le postulat est que ces moratoires ne sont pas spécifiques à chacun des emprunteurs, mais génériques et proposés au niveau d’un secteur ou d’une région. Les entreprises ne sont pas ici dans une situation individuelle de défaut ou de renégociation de prêt», poursuit Thomas Verdin. Le superviseur propose donc que les prêts objets de ce «gel» temporaire lié à l'épidémie ne soient pas déclassés en défaut ou en restructuration au sens prudentiel ou d’IFRS9 de façon «automatique». Il insiste sur l’obligation des banques d'évaluer la qualité de crédit des expositions concernées et d’identifier les cas particuliers.
Concernant la classification en défaut, l’EBA rappelle la possibilité que les moratoires - publics ou privés s’ils ont les mêmes caractéristiques génériques à préciser - puissent prolonger d’autant la période d’impayé tolérée de 90 jours. «Sachant qu’il ne sera pas facile pour les banques qui ne l’ont pas prévu d’appliquer automatiquement cette approche sélective au sein de leurs systèmes d’information, ni dans leurs reportings», rappelle Thomas Verdin. Des références à la détérioration éventuelle de la valeur du prêt (NPV) et au monitoring d’impayés plus spécifiques introduisent une certaine complexité : l’EBA part du principe que ces cas d’échéanciers de paiements modifiés autrement seraient peu nombreux et propose que, dans le cas contraire, les banques puissent hiérarchiser leur analyse au cas par cas, «selon une approche basée sur les risques».
Concernant la norme IFRS 9, sur laquelle l’Autorité européenne des marchés (Esma) a travaillé conjointement avec l’EBA, il n’y a pas non plus de classification automatique : les documents font référence à une analyse qualitative et quantitative de l’augmentation du risque de crédit (SICR) relativement à la durée de vie de l’exposition, pour voir si la détérioration de la solvabilité n’est liée qu'à l’épidémie ou pas, et, le cas échéant, si elle peut avoir des répercussions irréversibles à plus long terme. «L’idée est bien de ne pas dégrader les expositions soumises au choc conjoncturel, sans problème structurel propre à l’emprunteur, conclut Thomas Verdin. Toute la question, dans cette situation inédite, est alors dans l’interprétation de ce qui est durable…»
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