La difficile équation de l’assurance dépendance

Les produits, chers et difficiles à tarifer en raison d’un risque évolutif et incertain, peinent à trouver leur public.
Virginie Deneuville
La ministre  de la Santé Agnès Buzyn prévoit  une loi traitant  de la dépendance  d’ici la fin de l’année.
La ministre de la Santé Agnès Buzyn prévoit une loi traitant de la dépendance d’ici la fin de l’année.  -  rea

Alors que sort ce jeudi le rapport du conseiller d’Etat Dominique Libault sur le grand âge et la perte d’autonomie, en vue d’un projet de loi cette année, les assureurs se mobilisent avec prudence pour répondre à cet enjeu. « Les actuaires ont coutume de dire que, quand on regarde le passé, on prédit l’avenir. Cela ne marche pas pour l’assurance dépendance. Il faut de l’humilité par rapport à ce risque », estime Anne-Charlotte de Raignac, directeur actuariat et acceptations médicales chez AG2R La Mondiale Matmut. « Les assureurs se tiennent prêts, si le marché de l’assurance dépendance décolle un jour, et également pour répondre présent aux demandes des différents gouvernements. Quelques-uns ont une offre en catalogue, mais les ventes sont très limitées », observe Cyrille Chartier-Kastler, président de Facts & Figures. « Le taux de pénétration est encore peu élevé », confirme Pierre-Alain Boscher, managing director au sein du cabinet Optimind, qui réalisait une table ronde fin février sur le sujet. Selon les derniers chiffres de la Fédération française de l’assurance (FFA), les cotisations globales pour la couverture du risque de perte d’autonomie s’élevaient à 783 millions d’euros fin 2017 (7,1 millions de personnes assurées, dont 2,7 millions auprès des sociétés d’assurance).

Les raisons de ce faible engouement sont multiples. « L’assurance dépendance est un produit cher, assorti d’un ressenti de fonds perdus pour le client, le risque pouvant ne pas intervenir », analyse Nicolas Heinrich, head of experience analysis chez Scor. A 60 ans, âge qui semble le plus pertinent pour souscrire ce type de produit, « les cotisations évoluent dans une fourchette allant de 500 à 1.000 euros par an, soit un coût quasi-similaire à la complémentaire santé, dont la consommation est en revanche certaine », indique Cyrille Chartier-Kastler. Comme le souligne le professionnel, le coût peut se révéler également élevé pour l’assureur, car la rente, lorsqu’elle est déclenchée, est versée jusqu’à la fin de la vie de l’assuré. Selon la FFA, la rente mensuelle des contrats individuels s’élevait ainsi à 598 euros en moyenne en 2017. En outre, du point de vue prudentiel, « le coût en capital sous Solvabilité 2 est particulièrement élevé », souligne Optimind, précisant que l’ordre de grandeur pour un coût en capital est d’environ 20 à 25 % des primes pour le risque santé, contre 120 % pour le risque dépendance.

L’assurance dépendance couvre par ailleurs un risque difficile à maîtriser. « Il faut en général attendre dix ans pour percevoir les premiers sinistres », explique Nicolas Heinrich. « Les thérapies évoluent et permettent un allongement global de la durée de vie. Une personne dépendante peut désormais le rester longtemps », ajoute Cyrille Chartier-Kastler. « Le ‘pricing’ du risque est complexe », appuie Eric Demolli, directeur technique courtage & conseil chez CNP Assurances, ajoutant que la phase de baisse des taux d’intérêt a par ailleurs considérablement rehaussé le coût du risque pour ce type de produit à longue duration.

Lisibilité

Des réflexions émergent pour rendre le produit plus attractif. « Face à un risque complexe et méconnu, il faut une offre simple et lisible », estime Thomas Reynaud, responsable d’études actuarielles chez Crédit Agricole Assurances. Selon le professionnel, la proposition de garanties d’assistance, tels que des services de prévention et d’information dès la souscription du contrat, limite par ailleurs le sentiment de cotisations à fonds perdus. « L’innovation produit doit plutôt se concentrer sur l’aidant, avec des prestations de services spécifiques », juge Anne-Charlotte de Raignac. « Ce type d’offre pousse à la souscription », confirme Thomas Reynaud. Encore faut-il bien définir la personne aidante. « Cela doit-il être un parent, un voisin ? Est-ce lié à la notion de temps consacré à la personne dépendante ? », s’interroge Nicolas Heinrich.

Le rôle de l’assurance collective (qui représentait 21 % des contrats avec une garantie principale dépendance fin 2017) fait également débat. « L’entreprise a un rôle à jouer. Pour l’assureur, cela élargit la mutualisation et permet dès lors de réduire les coûts », avance Eric Demolli. Certains professionnels se montrent plus perplexes. « Je ne crois pas à un réel développement, l’enjeu pour l’entreprise étant davantage la protection du salarié que sa dépendance dans une période post-travail », temporise Anne-Charlotte de Raignac. L’un des enjeux auxquels il faut répondre porte par ailleurs sur la façon dont est évaluée la dépendance. Alors que plusieurs grilles existent (AGGIR, AVQ…), les critères retenus peuvent varier d’un assureur à l’autre. « Cela soulève des questions sur la portabilité des contrats d’une entreprise à l’autre », interpelle Eric Demolli.

L’équation se révèle difficile à résoudre pour les assureurs. « Il est probable que ce marché ne décolle jamais. Les meilleures réponses à la dépendance existent déjà et ne passent pas par l’assurance privée », tranche Cyrille Chartier-Kastler, citant la cession de sa résidence, si l’on est propriétaire, pour financer son logement en Ehpad (Etablissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes) lorsque l’on devient dépendant, ou une vente en viager pour s’assurer une rente jusqu’à son décès (lire l’avis d’expert).

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