
Assurance emprunteur - La communication fait défaut

Que c’est long ! Après la loi Lagarde (2010), qui a consacré la déliaison entre crédit immobilier et assurance emprunteur et la liberté de choix à garanties équivalentes, puis la loi Hamon (2014) qui a permis de changer d’assurance durant la première année du crédit, et enfin l’amendement Bourquin (2018) qui étend cette possibilité à toute la durée du contrat à chaque date anniversaire, tout devrait désormais être réuni pour que les emprunteurs, anciens et nouveaux, choisissent librement leur assurance ou décident d’en changer. Eh bien, non. Peu de gens s’y risquent. Le comparateur et courtier Meilleurtaux.com comptait à la mi-2018 20 % des demandes pour l’assurance emprunteur, avec 12 % en lien avec la loi Hamon et 8 % en lien avec l’amendement Bourquin, soit un recul constant depuis le début de l’année. En cause, une méconnaissance persistante du dispositif chez les personnes détentrices d’un crédit immobilier, une faible couverture médiatique passés les premiers mois de l’année, une absence d’informations de la part des banques et le maintien d’un flou sur la date anniversaire du contrat d’assurance, rendant difficile d’engager la procédure de résiliation. Pour Nicolas Bertapelle, fondateur du cabinet Jasmin, qui prépare une étude sur le sujet, « grâce aux renégociations et aux rachats de crédits, les emprunteurs sont plus enclins à changer d’assurance, c’est un réflexe qui commence à se diffuser parmi les consommateurs. Néanmoins, renégocier reste un processus administratif lourd qui peut tourner au débat d’experts, et peu de personnes ont envie de replonger dans un tourbillon de procédures. Elles ont d’ailleurs intérêt à se faire aider par un courtier. »
La concurrence reste bridée
Et même si davantage de personnes envisagent de faire jouer la concurrence sur l’assurance du prêt, les banques ont trouvé la parade. « Elles n’informent pas forcément leurs clients de la possibilité de souscrire une assurance ailleurs et proposent de plus en plus elles-mêmes des contrats alternatifs pour couvrir ceux qui seraient tentés d’aller voir ailleurs, raconte Maël Bernier, porte-parole de Meilleurtaux.com. L’assurance emprunteur reste un produit à forte marge et les banques font tout pour garder les clients. Si bien que, pour changer d’assurance, il faut s’y prendre largement plus de trois mois à l’avance, d’autant plus qu’il n’y a pas de pratique commune de marché sur la date anniversaire du contrat, qui peut être la date de l’offre de prêt, celle du déblocage des fonds ou de la signature du contrat d’assurance... » Encore un détail que le législateur n’avais pas anticipé et sur lequel les établissements prêteurs ont rapidement su jouer. Pour Ludovic Huzieux, fondateur d’Artémis Courtage, le déblocage du marché pourrait arriver prochainement : « Depuis la loi Lagarde, les parts de marché n’ont quasiment pas bougé et la concurrence n’est toujours pas complètement libre. Seule une décision symbolique de l’Autorité de contrôle permettrait de changer les choses. »
Justement, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a publié, le 3 octobre dernier, une mise en garde à l’encontre d’un établissement, dont le nom n’est pas cité, qui augmentait le taux du crédit ou les frais de dossier en contrepartie de l’acceptation d’une délégation d’assurance ou qui refusait sans justification autre que l’existence d’une assurance externe les demandes de déliaison dans le cadre d’un rachat de crédit. Aucune sanction n’a encore été prononcée, mais l’avertissement est clair. Encore plus depuis la publication, le 22 novembre, d’un point sur le libre choix de l’assurance emprunteur, dans lequel l’ACPR constate « encore trop souvent des pratiques de nature à décourager les emprunteurs dans leurs démarches ou à différer la date du changement de contrat sollicité » : par exemple, des banques ne répondent pas, ou tardivement, aux demandes de changement, certaines formulent des demandes imprécises ou injustifiées de rectifications ou de pièces complémentaires, d’autres notifient des refus de substitution peu explicites ou insuffisamment motivés, d’autres encore retiennent une date d’échéance annuelle du contrat d’assurance incertaine, mal communiquée à l’emprunteur. Ce qui explique que la part de marché des assurances des banques était de 87,5 % en 2017, soit 1,5 point de moins qu’en 2015, en dépit des diverses réglementations promouvant l’ouverture à la concurrence.
Amélioration de la fluidité
L’Autorité de contrôle note par ailleurs que les tarifs semblent avoir diminué et que ceux appliqués aux plus âgés n’ont pas connu d’augmentation significative, contrairement aux craintes que les banquiers avaient exprimées, et la qualité des garanties ne s’est pas dégradée. En clair, les arguments des banquiers pour refuser l’ouverture à la concurrence ne tenaient pas la route. Au contraire, ces diverses lois n’ont peut-être pas accru la part de marché des assureurs alternatifs mais elles ont poussé les bancassureurs comme les alternatifs à améliorer leurs contrats, et permis une baisse des tarifs des contrats groupe. « Depuis 2015, la baisse moyenne des tarifs s’établit entre 25 % et 30 %, que ce soit sur la durée totale des crédits ou sur les huit premières années (durée moyenne effective des crédits), note Alexandra Barral, consultante chez Actuaris. Nous remarquons également une progression significative des offres en capital initial chez les assureurs alternatifs de façon à faciliter les comparaisons avec les contrats groupe des banques. » L’actuaire constate aussi une amélioration significative de la fluidité des souscriptions, y compris sur la sélection médicale, mais aussi de tous les processus de gestion, grâce au digital, ce qui devrait faciliter les résiliations annuelles. Une banque a même mis en place un outil d’intelligence artificielle pour gérer les résiliations et réduire les frais administratifs.
BNP Paribas Cardif, par exemple, a consenti d’importants efforts pour améliorer le parcours clients : « Ainsi, huit clients sur dix obtiennent un accord immédiat sur l’assurance de leur prêt. Cela nous a permis d’obtenir une grande amélioration de la satisfaction de nos clients, ce que nous n’imaginions pas il y a seulement deux ans, explique Benoît Gommard, directeur grands réseaux de BNP Paribas Cardif France. Et nous proposerons, début décembre, un parcours ‘full digital’ aux deux personnes sur dix qui n’obtiennent pas cet accord immédiat, elles pourront échanger avec nos spécialistes assurance emprunteur mais aussi avec une hotline médicale dans le respect du secret médical. » L’assureur prévoit en outre de prendre contact avec les nouveaux clients environ dix-huit mois après la signature du contrat d’assurance afin d’améliorer les garanties ou de les ajuster à leur situation (quotités notamment). Un bon moyen de prévenir les éventuelles demandes de résiliation et de favoriser la fidélité des clients.
Baisse des tarifs, diversification de l’offre, amélioration des garanties, souplesse accrue sur la sélection médicale, parcours clients digitalisés… Le marché de l’assurance emprunteur s’est rénové, tant du côté des bancassureurs que de celui des assureurs alternatifs, sous l’effet d’une volonté d’ouverture à la concurrence voulue par le législateur. Et les principaux bénéficiaires en sont les emprunteurs. Le risque de démutualisation que mettaient en avant les bancassureurs pour résister à ce mouvement ne s’est pas concrétisé : les jeunes emprunteurs, qui avaient le plus à gagner à souscrire une assurance alternative, ne se précipitent pas à la recherche d’un contrat moins cher. Mais de plus en plus de consommateurs sont avertis de la possibilité de changer d’assurance en cours de prêt. Si, pour l’instant, l’attitude des banques dissuade encore les assurés de changer de contrat, les effets de l’amendement Bourquin sont à mesurer à long terme, dans les quatre ou cinq ans à venir. Sans oublier que, plus on vieillit, plus l’assurance se renchérit, et qu’il vaut parfois mieux garder un contrat souscrit lorsqu’on était jeune et bien portant.
Pour aller plus loin, la note de l’ACPR sur le libre choix de l’assurance emprunteur dans la version digitale de L’AGEFI HEBDO
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