Assurance-crédit : gardez votre ceinture attachée !

La flambée des défaillances fait ressurgir le spectre de coupes brutales des garanties. Pour l’heure, les assureurs se disent bien armés.
Benoît Menou
Rexel centre logistique de Dourges - Crédit Graphix-Images Laurent Zylberman.jpg
Rexel (ici le centre logistique de Dourges) salue des assureurs-crédit à l’écoute, dans le dialogue.  -  Rexel centre logistique de Dourges - Crédit Graphix-Images Laurent Zylberman.jpg

C’est à la fois une confession et une promesse, soufflée par un haut cadre de l’assurance-crédit en France : « On apprend de ses erreurs. » Confession que le secteur n’a pas sans fondement été pointé du doigt en 2008-2009 et au printemps 2020 pour avoir manqué de discernement dans les réductions de couverture au détriment des assurés. Promesse que les temps changent et que la prévention du risque se fait désormais vraiment main dans la main.

De fait, le secteur, dont le métier consiste à garantir les entreprises contre les impayés de leurs clients, fait aujourd’hui face à une nouvelle zone de turbulences : entre fin du « quoi qu’il en coûte », remboursement des prêts garantis par l’Etat (PGE), inflation sur le front de l’énergie et des matières premières ou perturbation des chaînes d’approvisionnement, l’anesthésie a pris fin et les défaillances sont de retour. Selon Altares, 42.514 procédures ont été ouvertes en 2022, soit un bond de 49,9 %, un taux simplement inédit. Certes, il s’agit avant tout d’une normalisation après une parenthèse de deux exercices calmes. Mais si le volume de faillites reste inférieur de 18 % à celui de 2019, cet écart n’est plus que de 9 % sur le seul dernier trimestre, souligne Altares. Son directeur des études, Thierry Million, dit « craindre un retour aux valeurs d’avant-crise plus tôt que prévu, (…) 2023 pourrait dépasser ce seuil et nous ramener aux valeurs de 2017 au-delà de 55.000 ».

De quoi attiser la fébrilité des assureurs-crédit quant au risque d’impayés et donc rogner leur appétit de souscription. Ce dernier « est amoindri, nous passons progressivement d’un soft à un hard market », note Philippe Puigventos, président de Diot-Siaci Crédit. La baisse des garanties sur les acheteurs (les clients des clients), par réduction ou résiliation de lignes, est clairement visible à la lecture du baromètre du courtier pour 2022 : le graphique ci-dessous, sur le périmètre du courtier leader du marché, trahit une vive hausse des désengagements fin 2022. Si les chiffres précis restent confidentiels, la tendance est claire – on parle ici de milliers de décisions et de centaines de millions d’euros de réductions. La perception de cette frilosité est diverse. Selon Denis Le Bossé, président du cabinet de recouvrement Arc (lire ‘La Parole à...’), elle peut faire douter de la pertinence de l’assurance-crédit. « Les assureurs font face, sans brutalité », avance de son côté Cherifa Hemadou, déléguée régionale Côte d’Azur et Monaco de l’Association française des trésoriers d’entreprise (AFTE). « Mais restons vigilants. C’est quand ça tangue que nous avons besoin de garanties. Voyons notamment au printemps lors de la publication des résultats annuels de nos acheteurs, et si le rythme des défaillances s’accélère encore, contre lequel les assureurs voudront se prémunir », estime celle qui est par ailleurs directrice financière de Virbac. « Nos encours de risque ont progressé de manière significative l’an dernier, de 8 % pour atteindre 224 milliards d’euros », se défend Laurent Treilhes, président du comité exécutif d’Allianz Trade France. Qui se prévaut d’un taux d’acceptation des demandes de couverture « constant, voisin de 80 % ». « C’est inhérent à notre métier de revoir chaque jour des limites de crédit, et notre engagement reste fort », abonde Christophe Cherry, directeur général d’Atradius France, Belgique et Luxembourg, qui met en avant une même stabilité et un même niveau d’acceptation.

Confiance et accompagnement

La faible sinistralité a certes permis aux assureurs-crédit d’engranger des bénéfices renforçant leurs défenses. « Notre actionnaire (l’assureur espagnol Catalana Occidente, NDLR) ne s’est pas forcément réjoui de la volatilité de nos résultats récents, le budget 2023 table sur un retour à la normale à long terme attendu par ce groupe familial », plaide Christophe Cherry. Pour autant, nuance-t-il, « nous devons prendre les bonnes décisions d’octroi de limites de crédit pour préserver notre rentabilité en ajustant finement notre exposition » : l’équilibre est crucial quand on considère qu’« Atradius dans le monde couvre 750 milliards d’euros de créances commerciales avec 2,5 milliards de fonds propres ». Un équilibre à trouver dans un secteur très concurrentiel. « On ressent le besoin de ne pas perdre notre dossier, confie Franz Zurenger, directeur trésorerie et crédit d’Interparfums et administrateur de l’AFTE. Le simple lancement de notre dernier appel d’offres sur les Etats-Unis a fait progresser notre taux de couverture local de 20 points à 50 %. » Mieux, cela pour un prix divisé par deux et avec des lignes confirmées que l’assureur ne peut pas remettre en cause. « Nous n’envisageons pas d’initier une guerre des prix pour simplement gagner des parts de marché, nous resterons au juste prix », affirme Eric Lenoir, président de la jeune pousse de l’assurance-crédit Cartan Trade. Laurent Treilhes, chez Allianz Trade, relate une stabilité des taux de prime, quand Romy Tognon Ribeiro, responsable trésorerie et credit management du groupe Rexel, salue pour sa part le maintien d’une relation dont les conditions tarifaires sont « équilibrées et ajustées annuellement en fonction du ratio sinistres à primes ». Christophe Cherry conseille « de se tourner aujourd’hui vers l’assurance-crédit, dont la modération des tarifs reflète celle de la sinistralité passée historiquement favorable ». De fait, « le sujet des taux de prime pourrait surgir à la fin du premier semestre, selon Philippe Puigventos, l’élasticité des assureurs est pour l’instant limitée au niveau de garantie ». Dont le pilotage, promis, a gagné en proximité attentive.

Les assureurs-crédit « ont un besoin toujours croissant d’informations sur nos clients et s’appuient également sur notre propre expérience », souligne Romy Tognon Ribeiro. Ils sont « plus à l’écoute, dans le dialogue, avec l’objectif commun d’établir une relation de confiance de long terme ». Confiance qui « est très longue à bâtir mais peut se perdre en un instant », philosophe Christophe Cherry. Rexel illustre ce partenariat, « qui n’a pas toujours été aussi soutenu », à travers l’accompagnement de l’« approfondissement des connaissances que doivent acquérir les assureurs dans les domaines d’expertise que nous développons, comme les énergies renouvelables ». Cet accompagnement « va être toujours plus crucial en 2023, nous devons capter l’information en temps réel auprès de l’ensemble de l’écosystème. Cela a toujours fait partie de notre ADN mais nous devons continuer de le renforcer », promet Laurent Treilhes.

L’assureur « doit prendre en compte plusieurs années et regarder l’horizon, les perspectives, ne pas oublier que les difficultés peuvent n’être que passagères. Si les performances d’un unique exercice sont dégradées, cela ne mérite pas de coupes claires immédiates de couverture », clame Cherifa Hemadou pour l’AFTE. Déjà, ajoute Romy Tognon Ribeiro, « en cas d’absence de visibilité sur nos risques clients, l’assureur peut proposer des garanties temporaires dans l’attente de la publication des comptes de notre acheteur ». Ce vœu de longue-vue est exaucé, selon Christophe Cherry, dans le contexte actuel de « business as usual : c’est le métier de l’assureur-crédit que de gérer les cycles, nous devons analyser la situation des acheteurs au cas par cas sans prendre de mesures générales ou brutales, sectorielles ou géographiques. Nous ne sommes pas plongés dans le cauchemar d’une crise globale ».

Sachant que la responsabilité de la bonne marche de la relation incombe également aux assurés, qui doivent être proactifs et ne pas subir. « C’est un travail de longue haleine, nous devons être le plus transparent possible, les assureurs apprécient beaucoup les assurés vigilants, cela permet d’obtenir davantage », estime Cherifa Hemadou. Elle pointe que l’assuré pourra notamment mettre en avant le comportement de paiement de ses acheteurs : « Si notre client présente un historique sans soucis, cela doit être pris en compte. » Franz Zurenger salue, lui, dans un secteur largement intermédié, le rôle primordial de l’« homme-clé » qu’est le courtier, « je le considère comme un membre de mon équipe ». Pour plaider sa cause quand l’assureur annonce une restriction de couverture, l’assuré doit tenter de le convaincre, pratique connue sous le terme d’« insistance ». « Si nous sommes nous-mêmes convaincus bien sûr, précise Romy Tognon Ribeiro, faute de quoi nous devrons revoir notre stratégie interne de limite de crédit. »

Visibilité

Il n’empêche, « le marché reste sous-capacitaire pour les risques médians, cela empirera si les turbulences s’aggravent. Or les assurés ont besoin de visibilité », tonne Philippe Puigventos. Tout ce qui apporte de la capacité complémentaire est à ses yeux bienvenu. Aujourd’hui, selon le courtier, la co-assurance ou syndication, le top up ou complément de garantie par un assureur secondaire, ou encore le single risk ou couverture par acheteur, tout cela en complément de l’assurance-crédit traditionnelle par un acteur unique sur l’ensemble du chiffre d’affaires d’un assuré, représentent moins de 5 % d’un marché annuel voisin de 800 millions d’euros de primes pour la France. Faisant intervenir divers acteurs. Comme le nouveau venu Cartan Trade, dont le président Eric Lenoir se flatte d’avoir « construit une offre différenciante, digitalisée et adaptée aussi aux PME, les oubliées de 2020 ». Il dirigeait alors le numéro un Allianz Trade en France. Romy Tognon Ribeiro, chez Rexel, confie « étudier des pistes complémentaires, sans pour autant en avoir besoin pour l’heure. Mais il serait dommage de renoncer à un client que nous jugeons prometteur simplement par manque de couverture crédit si la sinistralité devait augmenter plus qu’anticipé ». Ce n’est pas le moment de déboucler la ceinture de sécurité.

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