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Quid de l’évolution du taux de capitalisation des bureaux ?

Sienna Private Credit
Le marché des bureaux s’orientera soit vers une logique de rendement locatif, soit vers une logique de rendement en capital, comme moteur de performance.
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Christophe Murciani, Directeur des Fonds – Dette Immobilière, Sienna Private Credit
Pierre Schoeffler, Senior Advisor de l’IEIF et Conseiller du Président du groupe La Française

Christophe Murciani, Directeur des Fonds – Dette Immobilière, Sienna Private Credit
Christophe Murciani, Directeur des Fonds – Dette Immobilière, Sienna Private Credit  - 

Le bouleversement de 2022 en quelques chiffres-clé

Quelle trajectoire pour le taux de capitalisation des bureaux Prime Paris QCA (Quartier Central des affaires) ? A quand une stabilisation et à quel niveau ? Après une année 2022 chahutée par le durcissement des politiques monétaires, destiné à contrer une inflation persistante qui s’est concrétisée par une hausse de 275 points de base du taux des OAT à 10 ans et de 185 points de base du taux des OATi à 10 ans, où en est le marché immobilier et particulièrement son compartiment-phare, le marché des bureaux Prime Paris QCA ?

Les facteurs économiques à fin 2022 ont également complétement changé par rapport à fin 2021 : l’inflation mesurée par le glissement annuel des prix à la consommation est passée, en France, de 2,8% à 5,9% et la croissance mesurée par le glissement annuel du PIB de 5,4% à 0,3%. Si l’inflation est favorable au marché immobilier au travers de l’indexation des loyers, le ralentissement économique lui est défavorable par la vacance qu’elle peut amplifier.

Simultanément le taux de capitalisation des bureaux Prime Paris QCA a décalé de 55 points de base sur l’année, passant de 2,7% à 3,25%. La prime de risque exprimée par la différence entre le taux de capitalisation et le taux des OATi à 10 ans, qui incorpore les anticipations d’inflation à long terme, est passée de 4,0% fin 2021 à 2,7% fin 2022. Sa moyenne historique depuis le lancement des OATi en 1998 est de 3,5% : fin 2021 le marché des bureaux Prime Paris QCA était donc correctement valorisé selon cette métrique, fin 2022 il est survalorisé, étant même inférieur à la moyenne diminuée d’un écart-type.

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L’expérience du passé

La sensibilité historique du taux de capitalisation au taux des OATi à 10 ans est de 0,8. La hausse de 185 points de base du taux des OATi à 10 ans aurait donc dû se traduire par une hausse de 150 points de base du taux de capitalisation. Seul le tiers du chemin a été réalisé. Mais les prix sur le marché immobilier réagissent avec retard aux changements des facteurs économiques et monétaires, l’ajustement se traduit d’abord dans les volumes et s’illustre par le recul de plus de 60% de l’investissement en Ile de France au T4 2022 par rapport à la même période de 2021.

Historiquement le délai de réaction est relativement long, de l’ordre d’une année. La crise obligataire de 1994, occasionnée par une remontée inopinée du taux des Fed Funds destinée à atténuer les anticipations d’inflation, s’est traduite par une hausse de 250 points de base du taux des OAT à 10 ans, le taux de capitalisation a réagi un an après avec une hausse de 80 points de base. La crise obligataire de 1999, occasionnée également par la politique de resserrement de la Fed destinée à refroidir la bulle boursière, s’est traduite par une hausse de 180 points de base du taux des OAT à 10 ans, le taux de capitalisation a réagi aussi un an après avec une hausse de 170 points de base. Enfin la crise obligataire de 2006, prélude de la crise financière globale, s’est traduite par une hausse de 140 points de base du taux des OAT 10 ans, le taux de capitalisation a réagi un an après avec une hausse de 170 points de base. Les rebonds les plus violents du taux de capitalisation ont eu lieu lorsque le taux des OAT à 10 ans ont atteint dans leur remontée le niveau du taux de capitalisation, comme en 1999, comme en 2006 et comme en 2022… Nous avons assisté au cours de l’année 2022 au pire krach obligataire depuis 30 ans.

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Des scénarios pour le futur

L’historique est biaisé par le fait que l’inflation a oscillé entre -0,5% et 2,5% sur toute la période depuis 1994, or en 2022 l’histoire est différente. Avant de dessiner des scénarios, quelques considérations théoriques s’imposent. La relation entre la dynamique du prix de l’immobilier et celle du taux d’intérêt des emprunts d’État à long terme est complexe. Le prix de l’immobilier correspond à l’anticipation du flux de revenus locatifs, dépendant eux-mêmes de la croissance économique réelle qui détermine la vacance spatiale et de l’inflation qui détermine l’indexation des loyers, actualisée au taux de rentabilité exigé de l’investisseur, somme du taux d’intérêt sans risque de long terme et d’une prime de risque immobilière. L’interdépendance entre le prix de l’immobilier et le prix des emprunts d’État à long terme, tient donc au comportement du taux d’intérêt vis-à-vis de la croissance économique réelle et de l’inflation[1].

Dans un modèle d’équilibre entre épargne et investissement, le taux d’intérêt doit refléter la croissance économique nominale, ou, exprimé différemment, le coût du capital doit égaler la rentabilité du capital investi. Si le taux d’intérêt augmente c’est donc par anticipation d’une hausse de la croissance réelle et/ou de l’inflation. Le facteur d’actualisation impacte négativement le prix de l’immobilier mais l’augmentation du flux de revenus locatifs l’impacte positivement. Au mieux l’impact positif supplante l’impact négatif et le prix de l’immobilier progresse, tandis que celui des emprunts d’État baisse, tout dépend du comportement précité.

L’inflation transitoire de sortie de Crise Covid en 2021 s’est muée en inflation persistante avec le déclenchement de la guerre en Ukraine en 2022. Suivant le durcissement de la politique monétaire de la Fed initié dès fin 2021, la Banque centrale européenne a augmenté son taux de facilité de dépôt de -0,5 % à 2,5 % de juillet 2022 à février 2023. Cette hausse de 3,0% des taux directeurs apparaît pour le moment insuffisante pour juguler l’inflation des prix à la consommation en zone euro, qui n’a reculé que de deux points de pourcentage depuis son pic de 10,6% en octobre 2022, et l’inflation core sous-jacente, qui reste ancrée au-dessus de 5%. Le marché anticipe un niveau de 3,75 % mi-2023 pour le taux de facilité de dépôt, soit 75 points de base de plus qu’anticipé en décembre.

Le taux de capitalisation des bureaux se stabilisera lorsque le marché anticipera une stabilisation des taux d’intérêt. Ceci renvoie à une première question : quelle est l’évolution économique qui devrait amener la Banque centrale européenne à interrompre ses hausses de taux directeur ? Vraisemblablement un retournement significatif de l’inflation core sous-jacente. Une deuxième question se pose dans le prolongement de la première : quelle sera la durée du maintien des taux directeurs au niveau élevé motivé par la lutte contre l’inflation ? Vraisemblablement le retour avéré de l’inflation core sous-jacente vers le niveau de 2,0%.

Considérant l’extrême persistance actuelle de l’inflation core sous-jacente et peut-être même le renforcement de cette persistance par la tendance à l’augmentation des salaires, deux scénarios peuvent être élaborés pour le futur du taux de capitalisation des bureaux.

Il est possible que le niveau de 4,0% soit nécessaire pendant plusieurs trimestres pour ramener l’inflation à l’objectif officiel de 2,0% par le canal du durcissement des conditions financières, car le marché du travail reste très tendu au sortir de la crise Covid, avec un taux de chômage attendu à 6,9% en 2023 contre 6,7% en 2022. Ce scénario fait courir le risque d’une plongée en récession de l’économie. Le taux des OAT 10 ans serait déprimé par l’absence de croissance économique et la faible inflation. Le taux de capitalisation resterait en deçà de 3,5%. Le marché des bureaux reviendrait à la logique du rendement locatif comme moteur de performance par opposition à la croissance des loyers.

Il est possible que la Banque centrale européenne considère rapidement, cet été ou cet automne, que l’objectif de 2,0% est mortifère pour l’économie et que l’ancrage actuel des anticipations d’inflation autour de 3,0% par les agents économiques est finalement satisfaisant. Le taux des OAT 10 ans en sortirait dopé et le taux de capitalisation pourrait dépasser 4,0%. Le marché des bureaux passerait à une logique de rendement en capital comme moteur de performance.

En guise de résumé, nous pourrions être fixés dès l’automne 2023 entre ces deux scénarios. Soit la croissance est bel et bien cassée par le resserrement monétaire et un taux de capitalisation de 3,5% pourrait suffire à reconstituer la prime de risque immobilière. Soit la politique monétaire table sur un équilibre dynamique entre inflation et croissance, et un taux de capitalisation supérieur à 4,0% est suffisant compte tenu des anticipations de hausse des loyers.

[1] La prime de risque interagit également par ses différentes composantes mais ses effets sont généralement de second ordre pour le sujet qui nous occupe.

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