
Cipav : la gouvernance et la gestion des réserves mises en cause

Deux départs, celui du directeur des investissements et de sa principale collaboratrice, des arbitrages immobiliers questionnés, un désaccord sur la place du nouveau directeur des investissements…la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse des professions libérales (Cipav) traverse des zones de turbulences. Ce poids lourds des caisses de retraite des libéraux, réunissant des architectes, géomètres, ingénieurs conseils, moniteurs de ski, etc. et 7,9 milliards d’euros de réserves, met en place une nouvelle gouvernance financière pour ouvrir la voie à un grand chantier dans la gestion des réserves. Le directeur général, François Clouet, souhaite s’y investir directement, expliquait-il à Instit Invest en novembre. La direction comptable et financière est en cours de rapprochement avec la direction des investissements, pour supprimer des doublons et améliorer la vision ALM. Dans le même temps, l'équipe d’investissement connait d’importants changements. Au cours de l’année 2022, Fabrice Zamboni, ancien directeur des investissements et la responsable des investissements financiers (hors immobilier), quittent le groupe pour des raisons restant confidentielles. Kévin Cepa, directeur comptable et financier, prend les rênes des investissements en septembre 2022, ce qui soulève des questions. « Plusieurs administrateurs s’inquiètent des licenciements et d’autres départs non renouvelés qui réduisent fortement les compétences en matière de gestion d’actifs financiers dans une période compliquée sur les marchés», confie une source en interne. Le cabinet Instit7 a été récemment choisi pour aider la caisse dans ses choix d’allocation. Mais, «il manque vraisemblablement une équipe de gestionnaires qualifiés pour le pilotage au quotidien du portefeuille financier», ajoute la même source. Le conseil d’administration est partagé sur ces questions. Par ailleurs, mercredi 4 janvier, Armand Gersanois, vice-président de la Cipav, a été élu président. Il remplace Marie-Laure Schneider, absente depuis plusieurs mois pour raisons de santé. 7,9 milliards de réserves La nouvelle gouvernance financière interpelle. Les administrateurs disent ne pas avoir été consultés sur le rapprochement des directions d’investissement et financière. La nomination du directeur comptable, Kévin Cepa, au poste de directeur des investissements, pose également un problème en «dérogeant au principe fondamental de séparation des pouvoirs entre l’agent payeur et l’agent ordonnateur», selon des administrateurs et le collectif d’adhérents Cipav Info. Contactée, la direction répond : «pour respecter la séparation des pouvoirs, le directeur général de la caisse, François Clouet, signe les décisions de la caisse en matière de placements en tant qu’ordonnateur. Toutes les décisions présentées à la commission des placements sont préalablement présentées lors d’un comité technique auquel siègent le directeur comptable et financier et le directeur général de la caisse.Il n’y a pas de délégation donnée au directeur comptable et financier concernant l’ordonnancement». Une source en interne affirme que plusieurs décisions de placements prises par le nouveau directeur des investissements l’ont été «sans discussion avec l’équipe d’investissement ni validation de la commission des placements». Des questions sur des ventes d’immeubles Les 7,9 milliards d’euros de réserves de la Cipav sont allouées pour moitié aux produits de taux, à 38% aux actions et 12% à l’immobilier. La cession récente d’immeubles suscite aussi des désaccords. Le collectif Cipav Info rapporte, selon des sources internes, que la vente de plusieurs immeubles aurait été réalisée, parfois au «moins offrantpour des raisons obscures», ce que récuse formellement la direction. Le collectif cite le cas d’un actif situé au 22, rue Bayen à Paris cédé pour 33,5 millions d’euros en avril 2022 alors qu’un acheteur en proposait 34,5 millions d’euros. Un autre cas concerne la cession du 78, rue Boissière, pour 11,5 millions d’euros en novembre 2021, puis revendu en mars 2022 par le nouveau propriétaire pour 16,2 millions d’euros. Selon l’acte notarié que s’est procuré Cipav Info, des travaux prévoyant une rénovation, une extension et une division des logements pourraient expliquer cette plus-value. Un dossier de permis de construire a bien été déposé mais n’avait pas encore été obtenu à la date de la revente. La direction affirme d’une part que «l’évaluation a été faite par un prestataire extérieur spécialisé, retenu dans le cadre d’un marché public, en l’espèce BNP Paribas Real Estate. Cette évaluation est en cohérence avec le montant de la vente », d’autre part que « les investissements éventuels réalisés par l’acheteur après la cession par la Cipav, et qui peuvent expliquer une évolution du prix à la revente, ne concernent pas la Cipav ». Une plainte en cours d’instruction La Cipav doit affronter d’autres conflits. Des adhérents et l’association Cipav Info ont notamment déposé une plainte en mars 2020 contre X pour concussion, soit « le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, de recevoir, exiger ou ordonner de percevoir à titre de droits ou contributions, impôts ou taxes publics, une somme qu’elle sait ne pas être due, ou excéder ce qui est dû», précise le code pénal. Une enquête est en cours d’instruction. «D’autres délits pourraient apparaître concernant la gestion immobilière, la dissimulation des cotisations, des majorations indues ou le cumul des fonctions du directeur comptable et des investissementsou encore des élections frauduleuses en décembre 2020 du conseil d’administration », souligne Cipav Info. Cela ramène la caisse à des heures difficiles. Deux rapports de la Cour des comptes, l’un en 2014 et l’autre en 2017 constataient «de graves dysfonctionnements(…) une qualité de service déplorable aux assurés», puis «un processus de redressement qui tarde à s’engager et demeuré partiel». En 2020, un rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) relevait des problèmes de management de l’ex-directeur de la caisse, Olivier Selmati, qui avait mené à une mise sous tutelle. Plusieurs condamnations ont été prononcées par le TGI de Paris contre les anciens dirigeants de la Cipav, Jean-Marie Saunier, François Durin, et le président du conseil d’administration Jacques Escourrou. Concernant les dysfonctionnements liés à la gestion des retraites, la direction actuelle assure que «les problèmes d’accessibilité et de traitement des dossierssont derrière elle». Un administrateur affirme que de gros progrès ont été réalisés sur ces questions. En outre, pour la caisse, le recouvrement des cotisations transféré aux Urssaf depuis le 1er janvier 2023 devrait simplifier les démarches des libéraux et permettre à la Cipav de se recentrer sur ces activités de conseil, de traitement des dossiers retraite et de versement des prestations. Au contraire, cela fait craindre à Cipav Info que les adhérents en difficulté ne puissent plus faire valoir leurs droits en cas d’erreurs. Certains redoutent également qu’il s’agisse d’un premier pas de l’Etat dans le jardin des caisses de retraite. La question d’une étatisation des réserves est parfois soulevée. «Cela relève du fantasme », insiste François Clouet.
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