
Les risques associés à la mise en œuvre de CSRD doivent être anticipés

De nombreuses entreprises engagent le chantier de la mise en œuvre de la directive du 14 décembre 2022, Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), leur imposant la publication annuelle d’un rapport non financier en matière de durabilité.
Les premières entreprises assujetties en France sont celles déjà soumises à l’obligation de publier une déclaration de performance extra-financière (DPEF). L’horizon de temps est court : pour publier leur premier rapport en 2025, c’est au 1er janvier 2024 – ou au premier jour des exercices ouverts après cette date – que les données concernées devront avoir été identifiées et les systèmes de mesure tant qualitative que quantitative être en place.
Le premier jeu de normes de durabilité (European Sustainability Reporting Standards, ESRS) est en passe d’être finalisé. Patrick de Cambourg, président de l’Efrag – organe chargé par la Commission de l’élaboration du projet d’ESRS –, a rappelé récemment que les ESRS impliquent de 1.200 à 1.300 points de données – même si seuls ceux jugés matériels par les entreprises concernées devront être mesurés et publiés.
L’ampleur de la tâche organisationnelle, administrative, financière, informatique et juridique commence à être mesurée par les acteurs impliqués : les entreprises, mais également leurs commissaires aux comptes, leurs conseils ainsi que les autorités, européennes comme françaises.
La mise en œuvre d’une réglementation, a fortiori nouvelle, implique généralement pour les entreprises la mise en balance de trois éléments : d’une part, les avantages à se mettre en conformité – qui incluent, s’agissant de CSRD, la possibilité de communiquer sur la stratégie, ainsi que de guider et mesurer les progrès sur l’ensemble du spectre ESG – ; d’autre part, la complexité et le coût de cette mise en conformité – que la Commission européenne évalue à plusieurs milliards d’euros à l’échelle de l’Union – ; enfin, les risques à ne pas se mettre en conformité.
C’est sur ce dernier point que l’on peut tenter de formuler de premières observations, en distinguant les risques de sanctions des autres risques, non moins importants.
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Les risques de sanctions en cas de non-conformité
Ceux-ci sont de deux ordres : les éventuelles sanctions imposées par les autorités administratives et les risques contentieux.
La directive ne fixant que de grands principes s’agissant des sanctions potentielles, il reviendra donc, en droit français, aux textes de transposition de les déterminer. Dans l’attente de leur adoption, prévue avant la fin de l’année, les récents débats parlementaires sur le projet de loi relatif à l’industrie verte ont vu l’administration faire part de sa volonté de recourir à trois types d’outils répressifs.
Le premier serait une injonction judiciaire, qui s’appliquerait tant aux sociétés cotées qu’aux sociétés non cotées, sur le modèle de la DPEF, avec une possibilité de saisine par des tiers, ainsi qu’une possible astreinte financière. Le deuxième serait une injonction administrative, limitées aux seules sociétés cotées, sous le contrôle de l’Autorité des marchés financiers (AMF), celle-ci se voyant confier le contrôle des informations en matière de durabilité. L’AMF pourrait ainsi ordonner à l’entreprise d’effectuer des publications rectificatives, voire imposer des sanctions, qui pourraient être de nature pécuniaire. Au-delà, les sociétés concernées pourraient voir leur responsabilité engagée au titre de la diffusion d’information trompeuse ou erronée ou de l’absence de diffusion d’une information importante. Enfin, serait introduite la possibilité d’exclure les opérateurs économiques n’ayant pas respecté leurs obligations des procédures de passation des marchés publics et des contrats de concession.
S’il faudra attendre les textes de transposition pour en juger, les outils envisagés paraissent de nature à créer une incitation réelle pour les entreprises. Celle-ci dépendra aussi de la volonté des autorités de les appliquer et on peut anticiper que leurs exigences augmenteront avec le temps.
Les autres risques à anticiper
Les impacts de la mise à disposition d’une information de durabilité d’une très grande granularité – qui dépassera largement celle aujourd’hui publiée au titre de la DPEF et, pour les entreprises qui y sont soumises, des plans de vigilance –, accessible par l’ensemble des acteurs – autorités, investisseurs, salariés, ONG, médias, citoyens, concurrents –, sont difficiles à mesurer mais ne doivent pas être sous-estimés.
Toutefois, les risques juridiques pour les entreprises ne devraient pas se limiter aux sanctions évoquées ci-dessus. L’information publiée pourra par exemple venir nourrir, voire dans certains cas susciter des contentieux émanant des parties prenantes tant internes à l’entreprise (syndicats, salariés) qu’externes (ONG). Sur certains points particulièrement importants pour la valeur de l’entreprise – par exemple, s’agissant de l’enjeu environnemental, les émissions de gaz à effet de serre, ou l’impact du changement climatique sur les actifs –, les informations publiées et les engagements pris seront scrutés par les investisseurs et pourront jouer sur l’attractivité de l’entreprise. L’information publiée, ou son absence, pourrait également avoir un impact sur l’accès au financement pour les entreprises, les acteurs privés ou publics pouvant choisir de sanctionner une société pour une information incomplète, erronée ou trompeuse. Les risques réputationnels seront aussi de premier plan.
CSRD présente donc d’abord un enjeu technique et organisationnel, pour lequel les commissaires aux comptes et les autres conseils des sociétés ont vocation à jouer un rôle clé. Elle engage aussi la stratégie et la responsabilité de l’entreprise dont la mise en œuvre soulève des enjeux juridiques majeurs.
Les retours d’expérience au titre de la DPEF, du plan de vigilance et des premiers travaux de déploiement de la nouvelle directive permettent d’identifier quelques actions préliminaires clés afin de bien se préparer : investir du temps et les ressources nécessaires pour comprendre cette nouvelle législation ; désigner les personnes impliquées au sein de l’entreprise, en assurant leur coordination ; réfléchir à l’adaptation éventuelle de la gouvernance, tant au sein des directions que des organes dirigeants ; faire appel à des conseils externes pour identifier et analyser les données pertinentes grâce à des systèmes de reporting développés au fur et à mesure. Autant de chantiers qui peuvent permettre de limiter les risques et de donner à ce texte le rôle de transformation positive que ses concepteurs européens ont entendu lui conférer.
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