L’affacturage souhaite se teinter d’ESG

Les factors prennent le temps de fourbir leurs armes pour accompagner un mouvement inéluctable.
L’affacturage souhaite  se teinter d’ESG
L’affacturage souhaite se teinter d’ESG  -  Adobe stock

Prémices, frémissement, en germe… les mots ne manquent pas de la part des acteurs de l’affacturage pour qualifier l’état d’avancement de ce mode de financement en matière d’infusion concrète des préoccupations de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). La prise en compte de critères ESG (environnement, social, gouvernance) s’immisçant progressivement au cœur de tout produit financier, elle entre ici aussi dans le sens de l’histoire. L’affacturage n’est pas précurseur, loin s’en faut, mais rien ne sert de courir, il faut partir à point.

Sans doute l’affacturage n’a-t-il pas pris le meilleur départ du fait de son caractère de financement à court terme en relation avec la myriade de clients et de fournisseurs de l’entreprise utilisatrice. « Nous prenons soin de sa réalité économique quotidienne, sur l’intégralité de la chaîne de valeur, autour de l’actif tangible qu’est la facture », plaide Grégory Albert, responsable des marchés affacturage grands comptes et secteur public de La Banque Postale Leasing & Factoring (LBP L&F). Cette complexité fait aussi la force potentielle de l’ancrage du développement durable dans le produit. « La dimension ESG intégrée à l’affacturage est bénéfique à l’ensemble de l’écosystème d’une entreprise », note Adrien de Rufz, senior manager chez KPMG.

L’affacturage se met naturellement en route sous l’impulsion de leurs maisons mères groupes bancaires, d’autant plus inspirées quand elles affichent le statut d’entreprise à mission. Par ruissellement : « Chaque activité, dont l’affacturage, a vocation à décliner la politique RSE du groupe », relève Guillaume Lanoë, directeur des marchés grands comptes et international chez Crédit Mutuel Factoring et Factofrance.

Indicateurs de performance

Le voyage ESG du métier a déjà débuté, avec l’affacturage inversé, à l’initiative le plus souvent de grands groupes envers leurs fournisseurs auxquels ils donnent accès au règlement anticipé des factures par financement du factor. « Dans un esprit de soutenir le tissu économique », souligne Grégory Albert. Au travers de son offre dévoilée avant l’été, Société Générale Factoring entend, selon son directeur général Aurélien Viry, « aller plus loin : le donneur d’ordres peut encourager ses fournisseurs à améliorer leur impact ». Par le biais d’objectifs mesurés par des indicateurs de performance (dits KPI pour key performance indicators), qui s’ils sont respectés permettront d’abaisser le coût de financement. Des KPI sans révolution, des volumes rejet de CO2 au taux d’accident du travail. A l’inverse, il est possible d’imaginer que des KPI décevants puissent entraîner l’exclusion de fournisseurs.

Avec une mécanique comparable de KPI, la réflexion est aussi générale côté facture client, qui représente l’essentiel du marché de l’affacturage. Elle s’est véritablement développée il y a deux ans sous l’effet du Covid, rappelle Guillaume Lanoë. Qui évoque le soutien d’une équipe « structuration finance durable » chez Crédit Mutuel Alliance Fédérale « capable de proposer ses propres critères sur mesure ». La « prime aux bons élèves », comme la nomme Adrien de Rufz, s’appliquera typiquement à la commission de financement, à savoir le coût de portage de la créance par le factor. « Mais il existe d’autres options pour améliorer ou restreindre les conditions d’exécution du contrat, poursuit l’expert de KPMG, comme l’acceptation de nouveaux risques ou la hausse des quotités financées. » « Parler du seul coût est trop réducteur, abonde Guillaume Lanoë, on cherche ici un impact global sur la relation. » Ainsi, précise-t-il, « un client peut souhaiter qu’un éventuel malus soit versé à une association ou fondation ».

Les factors s’accordent pour ne pas confondre vitesse et précipitation pour, selon la directrice générale de LBP L&F, Béatrice Collot, « ne pas tomber avec facilité dans le greenwashing, nous devons nous engager auprès de sociétés disposant déjà d’une stratégie RSE qui tient la route. Et il faut justifier d’une piste d’audit fiable sur les indicateurs, que tout le monde soit évalué selon les mêmes règles, comprises et connues de tous les acteurs ». Par des tiers de confiance, commissaires aux comptes ou agences dédiées à l’analyse RSE. Dirigeant le pôle conseil d’EthiFinance, acteur européen de notation et de conseil, Xavier Leroy pointe l’épineuse question de la qualité ou plutôt de l’exhaustivité des données : « Avec l’affacturage, nous avons affaire à des sociétés qui ne sont pas habituellement couvertes, et très nombreuses », souligne-t-il. L’agence a historiquement éprouvé ses méthodologies sur les sociétés cotées, le private equity ou la dette privée, ici le champ d’action est bien plus vaste. « C’est bien l’un des points de souffrance d’adoption de l’ESG dans l’affacturage », selon Xavier Leroy. Qui assure pourtant ne pas manquer déjà d’arguments, entre informations venant des entreprises – « comme toujours on ne peut pas faire sans elles, mais ici la transmission ne se fera pas aussi aisément que pour une société cotée » – et recherche de controverses en ligne ou dans la presse. EthiFinance pratique cette dernière et « on peut très bien l’appliquer à l’affacturage en envisageant pourquoi pas d’exclure du financement les sociétés soumises à des controverses graves ».

L’observateur indépendant Xavier Leroy met en lumière un autre frein à ses yeux : la complexité de l’équation économique pour le factor. Pour en rester sur les données, la collecte de données privées renchérit le projet, d’autant que ce coût « n’est pas mutualisable, en tout cas initialement, nous verrons d’ici quelques années ». Exclusion de financement signifie également moindres revenus. « Nous avons commencé à discuter avec certains de nos clients souhaitant embarquer des éléments RSE au sein de leurs programmes d’affacturage, confie le cadre d’un courtier. Beaucoup y pensent, mais les réflexions avec les factors se heurtent à des soucis de modèle économique, particulièrement d’absence de tarif adéquat. » Pour autant, « le retour dans le monde normal des taux positifs », comme le note Grégory Albert chez LBP L&F, devrait permettre de donner du sens au bonus/malus ESG. De fait, le relèvement des coûts propulsé par un taux de base en hausse, souvent l’Euribor à 3 mois, va à ses yeux « réveiller la nécessité d’optimisation des financements court terme pour des entreprises ayant investi dans la transformation de leur modèle par la mise en place de politiques RSE ».

Offre aux PME et ETI

L’arrimage de critères ESG peut paraître séduisant car « même si on ne parle que de quelques points de base, voire dix à vingt, ajoutés ou soustraits à la commission de financement, le mécanisme pourra rapidement représenter 10 % à 20 % de cette marge si les critères cibles sont atteints », selon Guillaume Lanoë. Une marge qui évolue à des plus bas historiques, dans un secteur très concurrentiel. Un secteur tout de même en pleine forme (voir le graphique), avec une production des factors français, à savoir le montant des créances prises en charge, qui devrait dépasser cette année le seuil symbolique des 400 milliards d’euros, un nouveau record. A ce pic, quelques points de base ne sont pas anodins.

De quoi entraîner le moteur ? Société Générale Factoring, dont le directeur général assure « avoir dépassé avec de nombreux clients le stade de la discussion polie », n’a encore contractualisé aucune évolution de contrat, sur fond certes de pause estivale et de processus internes rigoureux à respecter pour tout nouveau produit. Le factor entend toutefois prochainement étendre aux PME et ETI son offre encore dédiée aux grands groupes. Tous les factors cogitent sur ces mécanismes. Si la Société Générale est la première à être publiquement sortie du bois, les autres vont suivre après avoir validé la robustesse des processus passant par la pertinence des indicateurs et attisé l’appétit des clients. Selon Guillaume Lanoë pour le groupe Crédit Mutuel, un appel d’offres d’affacturage sur trois s’interroge aujourd’hui explicitement sur la manière dont la RSE peut être arrimée au produit. « Cela peut paraître peu, mais cette approche vertueuse était absente encore récemment. » « Ce n’est pas un phénomène superficiel ou temporaire mais de fond puisque, en affacturage aussi, il va devenir de plus en plus difficile de ne pas s’inscrire dans un mouvement concret ESG, tout l’environnement le demande. Toute entreprise y viendra… à chacun son rythme », estime Aurélien Viry. Inutile de courir…

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