Fonds de continuation, la nouvelle martingale du private equity ?

Très utilisé ces derniers mois dans un environnement où la liquidité se fait rare, ce véhicule souffre encore d’un manque de profondeur de marché.
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Les fonds de continuation permettent aux gérants de garder leurs plus beaux actifs sur le long terme.  -  DR

Autrefois considérés comme un aveu d’échec actant l’impossibilité pour un gérant de private equity (general partner, GP) de céder un ou plusieurs actifs dans de bonnes conditions via un processus traditionnel, les fonds de continuation se sont imposés au fil des années comme une voie de sortie à part entière. Cet outil récent, qui consiste pour un GP à créer un fonds dédié soutenu par de nouveaux investisseurs (limited partners, LP) mais aussi des LP existants pour y transférer ce ou ces actifs, s’est fortement développé ces dernières années. Il connaît aujourd’hui un succès considérable.

D’après le dernier rapport de Greenhill & Co, les fonds de continuation ont représenté pour la première fois plus de la moitié des opérations dites « GP-led » (initiées par des gérants) au premier semestre 2023, avec 53 % des volumes contre 43 % un an plus tôt. Dans un marché GP-led pourtant en baisse dans le monde cette année, avec 17 milliards de dollars de transactions recensées de janvier à juin, contre 20 milliards un an plus tôt, les fonds de continuation sont donc toujours aussi plébiscités par les gérants et les investisseurs.

Les acteurs français du private equity n’ont pas échappé à cette nouvelle tendance. Alors que PAI Partners avait été précurseur en transférant sa participation suédoise Perstorp dans un fonds de continuation dès 2018 avant d’en sortir définitivement en 2022, Astorg l’a imité en janvier 2022 en créant un véhicule dédié au cabinet luxembourgeois spécialisé en finance d’entreprise IQ-EQ, avec l’appui d’Alpinvest et Goldman Sachs. Quelques mois plus tard, c’est Equistone qui décidait de lever un fonds de continuation pour sa participation Sicame, soutenu par Alpinvest. Et en juillet dernier, Sagemcom, une participation de Charterhouse depuis 2016, a suivi le même chemin avec le concours d’un consortium mené là encore par Alpinvest.

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Une image redorée

Aux côtés de voies de sorties historiques que sont l’introduction en Bourse, la vente à un autre fonds ou une cession industrielle, le fonds de continuation s’est donc imposé comme une quatrième option plus que crédible. « Le marché du M&A est grippé depuis plusieurs mois, donc les fonds de continuation sont une alternative très pratique pour obtenir de la liquidité et faire remonter du cash aux LP, explique Marion Cossin, associée gérante chez Lazard. C’est aussi un outil de gestion que les GP connaissaient mal il y a encore deux ans, mais qui est beaucoup mieux intégré dans les stratégies de sortie. »

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Le changement de perception de la manœuvre par les acteurs du marché, GP comme LP, est qu’elle n’est plus considérée comme un moyen de se débarrasser d’un ou plusieurs actifs difficiles à vendre par les voies traditionnelles. Si les fonds de continuation multi-asset peuvent encore porter sur un groupe d’actifs qu’il faut sortir d’un véhicule en fin de vie afin de pouvoir le liquider, les single-asset funds concernent généralement des pépites. « Pour faire un fonds de continuation sur un seul actif, il faut avoir une conviction particulièrement forte dans ses perspectives de développement futur. Un actif de qualité insuffisante ne survit pas à ce type de processus, estime Benjamin Cordonnier, partner chez Astorg. Compte tenu de la difficulté à trouver de très beaux actifs, c’est bien de pouvoir garder la main et continuer à accompagner ceux que l’on connaît le mieux. ».

Ce type d’opération présente en effet de nombreux avantages. L’événement de liquidité permet de remonter du cash à ses LP ; libre à eux de réinvestir ou non dans le fonds de continuation par la suite. Comme le gérant initial garde le contrôle de l’actif, au moins par les droits de vote s’il se retrouve minoritaire au capital, les banques ne considèrent pas l’opération comme un changement de contrôle, ce qui permet de repousser la nécessité d’un refinancement dans cette période de hausse du coût du crédit. Enfin, l’opération donne lieu à une nouvelle levée de fonds au niveau de l’actif pour financer la croissance future, notamment des acquisitions.

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Gérer les conflits d’intérêts

Mais le fait qu’un GP se vende une société à lui-même nécessite de respecter des règles de transparence vis-à-vis des investisseurs sortants et entrants, dans la gestion de l’évident conflit d’intérêts, notamment au sujet du prix. « Il faut un dialogue fréquent et transparent avec le LP Advisory Committee du fonds vendeur. La fixation du prix se fait généralement soit en faisant entrer un fonds en minoritaire avant la mise en place du fonds de continuation, soit via le marché secondaire dans le cadre d’un processus concurrentiel classique, avec souvent une attestation d’équité du prix fournie par un tiers indépendant », expose Benjamin Cordonnier.

Remonter du cash aux investisseurs est toujours une motivation, mais cela ne doit pas être la principale raison de la transaction
CHRISTOPHE NICOLAS, managing director et partner chez Alpinvest

De même, l’implication du GP dans l’opération doit être exemplaire pour convaincre les investisseurs qu’il ne s’agit pas d’une manière de cantonner un actif peu prometteur. « En single-asset, il faut que le fonds de continuation porte sur un actif aux résultats exceptionnels qui repart pour un cycle de croissance de cinq ans. Remonter du cash aux investisseurs est toujours une motivation, mais cela ne doit pas être la principale raison de la transaction, souligne Christophe Nicolas, managing director et partner chez Alpinvest. Nous apprécions quand le gérant investit dans le fonds davantage que ce que la vente va lui rapporter. Nous attendons aussi que l’équipe de gestion investisse au moins autant que le carried interest perçu sur la vente et les commissions de gestion à venir. »

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Symbole d’un nouveau paradigme

Actuellement, le principal frein au développement d’un marché des continuation funds à l’avenir prometteur tient au manque de profondeur du compartiment côté investisseurs. Ce segment étant encore récent, peu de LP ont osé franchir le pas jusqu’à présent. « Il y a un flux de transactions très important pour les fonds de continuation single-asset. Or la plupart des investisseurs secondaires continuent à se concentrer plutôt sur des portefeuilles diversifiés et il existe donc assez peu d’investisseurs capables de mettre des tickets conséquents dans les opérations single-asset à l’heure actuelle », observe Marion Cossin.

Pour preuve, le fonds de continuation que le suédois EQT voulait organiser pour sa participation Waystar n’a pas abouti, faute de concurrence suffisante entre LP pour arriver au bon prix. « Nous sommes à la page 2 d’un livre d’au moins 100 pages, avance Christophe Nicolas. Le marché pourrait être deux ou trois fois plus gros si davantage de capital y était dédié. »

En définitive, le développement des fonds de continuation n’est qu’une manifestation parmi d’autres d’un changement d’approche des GP qui cherchent à garder le plus longtemps possible leur exposition à leurs plus beaux actifs, tout en créant des événements de liquidité réguliers pour remonter du cash aux investisseurs. Des variantes ont d’ailleurs vu le jour dernièrement. Towerbrook a par exemple transféré Infopro Digital dans son nouveau fonds amiral pour un nouveau cycle de LBO (leveraged buy-out). BC Partners vient de son côté de faire entrer Apollo en minoritaire dans Petsmart, qu’il détient depuis 2015, pour récupérer du cash plutôt que de réaliser une sortie classique. Le private equity ne manque jamais d’imagination quand il s’agit de gagner de l’argent.

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