
Les Spac français n’ont plus la cote

En annonçant mi-mai son projet de racheter la société Skyepharma, Eureking a peut-être signé la dernière acquisition d’un Spac (special purpose acquisition vehicule) coté à Paris avant un bon moment. Ces sociétés «chèque en blanc» avaient suscité un certain engouement à la Bourse de Paris ces dernières années, notamment en 2021 qui avait vu cinq d’entre eux s’introduire sur Euronext Paris. Si l’on exclut Mediawan, pionnier du genre avec une cotation dès 2016 et depuis sorti de cote, six Spac ont vu le jour en France en 2021 et 2022. Une «vaguelette» si l’on compare à la folie qui s’était emparée de Wall Street sur la période avec des milliers de cotations de Spac.
Pour rappel, un Spac est une coquille vide qui lève des fonds à l’occasion de son introduction en Bourse avec pour ambition d’acquérir une société dans un secteur bien défini et dans un laps de temps prédéterminé. Pour les véhicules cotés à Paris, les fortunes ont été diverses. Lancé par Moez-Alexandre Zouari, Matthieu Pigasse et Xavier Niel pour créer un champion de la distribution alimentaire bio, 2MX Organics a «despacké» en 2022 en rachetant les activités retail d’InVivo, rebaptisé Teract. Egalement sponsorisé par Matthieu Pigasse avec la famille Pinault et Iris Knobloch, I2PO a choisi pour cible Deezer pour sa stratégie axée sur les divertissements et les loisirs. Le plus jeune Spac parisien, Eureking, a donc annoncé avoir choisi Skyepharma pour initier sa stratégie de création d’un leader du biomédicament en Europe.
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D’autres liquidations anticipées après le Spac d’Accor
A côté de ces opérations de «despacking» abouties, certains Spac ont rencontré des difficultés à concrétiser leurs ambitions. Le corporate Spac d’Accor, qui visait une cible dans l’événementiel ou la restauration, a indiqué qu’il allait rembourser ses actionnaires et se liquider. Cette annonce intervenait quelques jours après celle de la liquidation du plus gros Spac du continent, Pegasus Europe, qui avait levé près de 500 millions d’euros pour le secteur des services financiers. Il était certes coté à Amsterdam, mais fondé à l’initiative de Tikehau Capital. A l’approche de la date butoir fixée au départ pour trouver la cible idéale, ces deux Spac ont préféré renoncer.
Et c’est ce qu’il risque d’arriver aux deux Spac restants à la Bourse de Paris : Transition dans la transition écologique et Dee Tech, axé sur le secteur technologique. La période d’acquisition de ces deux véhicules s’achève ce mois-ci et, faute d’annonces imminentes, ils devront à leur tour rembourser leurs investisseurs.
Ces liquidations annoncées et peut-être à venir sont paradoxalement rassurantes vis-à-vis de la crédibilité des Spac. «Les liquidations d’Accor et de Pegasus Europe semblent rationnelles. Ils ont choisi de ne pas réaliser d’opération à tout prix et de restituer les fonds à leurs investisseurs», analyse Olivier Thébault, associé chez Allen & Overy. «Compte tenu des évolutions de marché et des valorisations dans les dernières années, il est plus pertinent de ne pas faire de combinaison si la cible adéquate n’est pas trouvée, abonde Alexis Le Touzé, responsable ECM chez BNP Paribas. Le Spac doit donc démontrer qu’il parvient à faire une opération créatrice de valeur ou alternativement prendre la décision de ne pas faire une opération dégradée et ainsi de rembourser les investisseurs. »
Mauvaises performances boursières
Dans ce contexte, les investisseurs ne perdent donc pas d’argent. «Il n’y a pas à ma connaissance un seul Spac dans le monde qui n’ait pas restitué les fonds comme il s’y était engagé en l’absence de ‘despacking’ ou si un investisseur ne souhaitait pas participer au ‘despacking’. La protection offerte par le mécanisme du compte séquestre a bien protégé les investisseurs initiaux», rappelle Julien Fabre, co-responsable de la banque d’affaires en France chez Deutsche Bank.
Les deux opérations de «despacking» réalisées à la Bourse de Paris ont eu davantage de conséquences financières jusqu’à maintenant. En effet, Deezer et Teract, en attendant Skyepharma, affichent des performances boursières relativement décevantes. Fusionné avec I2PO sur une valorisation d’un milliard d’euros, le spécialiste du streaming musical ne vaut qu’un peu plus de 200 millions aujourd’hui. C’est un peu mieux pour Teract dont le cours de l’action se maintient au-dessus de 5 euros contre 10 euros à ses débuts. «La structure de Spac qui était attendue par certains comme une disruption sur le marché des introductions en Bourse n’a finalement pas constitué un changement majeur, même si les Spac restent une option de structuration intéressante pour certaines situations particulières », conclut Alexis Le Touzé.
Le seul Spac considéré comme français qui a tenu ses promesses pour l’instant est Pegasus Entrepreneurs, fondé par les mêmes sponsors que Pegasus Europe et coté lui aussi à Amsterdam. Suite au rapprochement avec FL Entertainment, qui regroupe Banijay et Betclic, en juin 2022, l’action résiste bien malgré les turbulences de marché et demeure au-dessus de 9 euros contre 10 euros à l’introduction.
Certains observateurs imputent le bilan défavorable des Spac à la conjoncture récente qui n’a pas permis leur succès, mais affirment que leur structure reste une option intéressante pour entrer en Bourse. «A l’échelle mondiale, il faut naturellement reconnaître que la majorité des Spac ont perdu de la valeur depuis leur ‘despacking’. Mais c’est assez logique, car la majorité des Spac visaient des sociétés à forte croissance, particulièrement technologiques, et que ce sont ces profils de valeur qui ont le plus souffert, notamment de la remontée des taux d’intérêt affectant les taux d’actualisation. On pointe Deezer, mais il faut aussi noter que Spotify a perdu près de 80% de sa valeur en Bourse entre le début 2021 et la fin 2022. Et le Nasdaq, hors Gafam, a aussi beaucoup reculé », souligne Julien Fabre.
«L’instrument souffre d’une certaine défiance des investisseurs, notamment au regard des évolutions récentes aux Etats-Unis et de la volonté de la SEC de davantage contrôler ces instruments. En France, l’AMF encadre ces instruments. Soit les ‘despacking’ ont lieu et il faudra les analyser sur le long terme, soit l’argent est rendu. Donc les Spac ne sont pas forcément à bannir», estime Olivier Thébault.
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Le marché au point mort en Europe
Il n’empêche, depuis mai 2022 et l’IPO d’Eureking, aucun nouveau Spac ne s’est coté à Paris et cela fait des mois que le marché européen est à l’arrêt. «La souscription dans une introduction en Bourse de Spac constituait pour les investisseurs un placement garanti attrayant avec l’optionalité dans un environnement de taux négatifs» observe Alexis Le Touzé. Les fonds levés, en attendant de trouver une cible, étaient en effet placés en emprunts d’Etat, et en cas de «despacking», l’investisseur pouvait choisir de récupérer sa mise initiale agrémentée du rendement des Treasuries. «Avec des actifs notamment obligataires dont les rendements ont beaucoup augmenté, la souscription dans une introduction en Bourse de Spac nécessite une réelle conviction sur la capacité des sponsors à créer de la valeur par une combinaison», poursuit Alexis Le Touzé.
«Je reste convaincu des mérites de la structure du Spac qui reprend d’ailleurs certaines des bonnes pratiques du private equity en essayant de les transposer au monde coté. La valeur ajoutée d’un Spac est de permettre aux investisseurs d’investir lors de la cotation d’un actif particulier, par exemple du fait de fortes perspectives de croissance, en s’appuyant sur des experts reconnus du secteur qui mettent leur argent à risque alors qu’il leur serait parfois plus difficile d’appréhender cet actif ans dans le cadre d’une IPO classique, affirme Julien Fabre. L’image des Spac va évoluer et je pense qu’ils pourront revenir, avec notamment l’émergence d’investisseurs professionnels sponsors de Spac, comme TPG ou Gores aux Etats-Unis, ou Tikehau en Europe.»
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