Londres attise dangereusement les tensions autour de l’accord de divorce post-Brexit

La Grande-Bretagne voudrait suspendre le protocole nord-irlandais, élément central de l’accord de divorce. Bruxelles planche déjà sur d’éventuelles mesures de rétorsions.
Clément Solal, à Bruxelles
brexit drapeaux du Royaume-Uni et de l’Europe Londres Bruxelles
L’attitude britannique consistant à blâmer l’UE sert-elle seulement de diversion ?  -  Crédit European Union

Le gouvernement britannique a-t-il réellement pour objectif de trouver un terrain d’entente avec l’Union européenne (UE) pour garantir un meilleur fonctionnement du « protocole nord irlandais », élément central de l’accord de divorce post-Brexit agréé fin décembre 2020, et ainsi fluidifier les échanges entre Grande-Bretagne et Irlande du Nord ? Il est plus que jamais permis d’en douter. Alors que la Commission européenne (CE) a prévu de proposer ce mercredi un ensemble de mesures de simplificiation du protocole - lequel a établi une frontière douanière de fait entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord qui garde ainsi un pied dans le marché unique de l’UE afin d’éviter tout rétablissement d’une frontière physique entre la province britannique et la République d’Irlande -, le ministre pour l’Europe de Boris Johnson, David Frost, qui s’exprimait mardi à Lisbonne a pointé l’insuffisance des concessions européennes, avant même qu’elles ne soient dévoilées.

Celles-ci devraient pourtant être substantielles : la CE pourrait proposer un ensemble d’allègements considérables des formalités et contrôles douaniers, en particulier sur les produits venus de Grande-Bretagne voués à rester en Irlande du Nord. Bruxelles ne ménage pas ses efforts pour trouver des solutions pérennes aux perturbations causées par les charges administratives induites par le protocole dans l’approvisionnement de marchandises vers la province. Des propositions qui pourraient tout au moins faire office de base de négociation.

Ce n’est en tout cas pas à ce stade l’avis du gouvernement de Boris Johnson, dont les priorités sont d’une toute autre nature. La principale exigence de David Frost : retirer à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) son rôle dans le processus d’arbitrage en Irlande du Nord. Une demande à laquelle la CE a toujours exclu d’accéder qui est largement perçue comme une posture politique à Bruxelles. Et qui peut surtout faire douter de la bonne volonté de Londres, comme l’expliquait lundi le ministre irlandais des Affaires étrangères. « La vérité, c’est qu’ils savent que l’Union européenne ne peut pas bouger sur ce point, et ils le demandent quand même (…) Chaque fois que l’UE avance de nouvelles propositions pour essayer de régler les problèmes, celles-ci sont rejetées avant même leur publication. Cette fois c’est encore plus sérieux. (…), s’est alarmé Simon Coveney. Cette nouvelle ligne rouge, personne en Irlande du Nord ne la réclame ».

Le spectre d’une guerre commerciale

L’entêtement du gouvernement britannique fait craindre une dangereuse escalade des tensions ces prochaines semaines dont le risque serait de déclencher une guerre commerciale entre les deux blocs. A en croire Politico, Londres projetterait ainsi d’activer l’article 16 du protocole d’ici Noël, lequel permet à chacune des parties, en cas de « sérieuses difficultés économiques, sociétales ou environnementales susceptibles de persister ou de flux commerciaux détournés » de suspendre la mise en œuvre de tout ou partie de ses dispositions. L’option serait « soutenue par les membres les plus modérés du gouvernement Johnson », indique le média américain. Une telle décision autoriserait alors l’UE à prendre des mesures de rétorsions « proportionnées », telles que l’instauration de taxes ou de quotas. « Plusieurs Etats membres ont demandé à la Commission de se préparer à toutes les éventualités. Nous le serons », a prévenu la semaine dernière le vice-président de la CE Maros Sefcovic.

Ce scénario noir n’a toutefois rien d’inéluctable, comme l’explique Elvire Fabry de l’Institut Jacques Delors. « A court terme, Londres tire plus de bénéfices politiques en agitant cette menace qu’en la mettant à exécution. Cette attitude consistant à blâmer l’UE sert de diversion alors que la réduction des échanges à la frontière nord-irlandaise n’est qu’un reflet des coûts économiques plus larges du Brexit, qui deviennent chaque jour plus évidents », analyse la chercheuse. « Mais le gouvernement britannique reste sur une logique de chantage qui rappelle la menace du ‘no deal’. Faire voler en éclat de cette manière ce protocole que Boris Johnson a lui-même signé aurait, au-delà de sa relation avec l’UE, des conséquences désastreuses pour l’image du Royaume-Uni à l’international. Boris Johnson qui compte beaucoup sur un rapprochement avec les Etats-Unis devrait en particulier être réceptif à la pression mise par Joe Biden pour qu’un accord soit trouvé rapidement avec l’UE », conclut cette spécialiste du Brexit et des relations commerciales de l’UE.

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