Bruxelles : un programme de travail en pente douce

Energie, industrie, réglementation financière : la dynamique des institutions ralentit à l’approche de la fin de la législature.
Clément et Mathieu Solal, à Bruxelles
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, et Ulf Kristersson, Premier ministre suédois
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, et Ulf Kristersson, Premier ministre suédois, dont le pays vient de prendre la présidence tournante du Conseil de l’UE pour six mois.  -  European Union/Dati Bendo - EC - Service audiovisuel

Où va l’Union européenne (UE) en 2023 ? Alors que s’amorce le début de la fin d’une législature où se sont succédé les crises sanitaire, sécuritaire et énergétique, l’esprit d’initiative a déserté la Commission depuis quelque temps. La prise de fonction de la présidence suédoise du Conseil soulève en outre peu d’enthousiasme que ce soit à Bruxelles ou à Stockholm, peu impliquée dans le projet européen.

Dans les coulisses bruxelloises, beaucoup pointent du doigt la présidente de l’institution, Ursula von der Leyen, qu’ils soupçonnent d’être plus concentrée sur l’obtention d’un second mandat après l’élection de mai 2024 que sur le présent politique de l’UE. De fait, que ce soit en matière énergétique ou industrielle, la prudence et la discrétion de l’ancienne ministre allemande de la Défense paraissent en phase avec celles de Berlin. Les négociations interinstitutionnelles prenant en moyenne un an et demi, les nouveaux textes qu’elle mettra sur la table à partir de maintenant auront bien peu de chances d’être adoptés avant la fin de la législature. Ce qui peut expliquer le manque d’ambition du programme de travail 2023 présenté en octobre dernier.

A la décharge de l’exécutif européen, le brouillard de ce mois de janvier peut paradoxalement être vu comme un signe de sa victoire : ses priorités, arrêtées à l’hiver 2019, ont été largement mises en œuvre, avec notamment en 2022 des accords définitifs sur les éléments essentiels du Pacte vert, sur les textes de régulation du numérique DSA et DMA, ou encore sur ceux visant à muscler l’arsenal européen en matière commerciale.

Les mesures d’urgence en matière énergétique, telles que le plafonnement des prix de gros du gaz, ont aussi reçu un feu vert interinstitutionnel avant la trêve hivernale, et le dossier hongrois a enfin été traité. Budapest est devenue la première capitale européenne à écoper de sanctions financières pour des atteintes à l’Etat de droit, et a obtenu une validation de son plan de relance sous (lourdes) conditions. Du même coup, deux textes majeurs bloqués par le gouvernement de Viktor Orban – la taxation minimale à 15 % des multinationales et le soutien macrofinancier de 18 milliards d’euros à l’Ukraine pour l’année 2023 – ont enfin pu faire l’objet d’accords unanimes.

Si l’essentiel de ses projets ont abouti, la Commission devra néanmoins encore se jeter à l’eau sur deux thèmes brûlants en cette rentrée : la politique industrielle et la réforme du marché de l’électricité. Dans un cas comme dans l’autre, l’exécutif européen, contraint par les circonstances et mis sous pression par certains Etats membres, donne toutefois peu d’indices sur ses intentions.

Idée grecque

Les experts se perdent ainsi en conjectures sur la réforme du marché de l’électricité, annoncée pour la fin du premier trimestre 2023. Réclamée à cor et à cris par le gouvernement français depuis l’automne 2021, le nouveau texte ne pourra se résumer au « découplage » du prix du gaz et de l’électricité, qui est loin de constituer une formule magique. L’actuelle règle du « merit order », selon laquelle le prix de gros de l’électricité s’aligne sur le coût marginal de la dernière unité de production mobilisée pour répondre à la demande, a certes montré ses limites. Dans un contexte de flambée du prix du gaz, elle a de fait couplé le prix de l’électricité à ce dernier, considéré comme injuste dans les pays qui en sont peu dépendants. Reste toutefois à trouver une formule alternative de fixation du prix. « La France n’a jamais rien mis sur la table, au contraire de la Grèce, qui a fait il y a déjà plusieurs mois une proposition très intéressante, juge Thierry Bros, professeur à Sciences Po. J’espère que la Commission s’en inspirera fortement. »

L’idée d’Athènes, qui semble bien plaire à Bruxelles, est la suivante : scinder les marchés de l’électricité en deux, en mettant dans un premier panier les énergies renouvelables, le nucléaire et l’hydroélectricité, et dans un second les combustibles fossiles. Les premiers bénéficieraient d’une priorité d’injection sur le réseau, tout en négociant un prix fixe, tandis que les seconds continueraient d’être payés aux prix du marché. Le prix final de l’électricité serait la moyenne.

« Il semble qu’on se dirige vers un fort accent mis sur les contrats pour différence, explique pour sa part Phuc-Vinh Nguyen, chercheur de l’Institut Jacques Delors. L’évolution de ces instruments pourra notamment permettre d’envoyer un signal à l’investissement. Le processus législatif devrait de toute façon prendre un certain temps et se prolonger sur la législature suivante. » Cela ne sera pas de trop pour mettre en place des règles destinées à régir le marché sur le long terme, dans un secteur qui promet d’être secoué par de nouveaux chocs.

Sur la table de travail du collège des commissaires se trouve donc aussi le dossier du soutien à l’industrie européenne, menacée par l’augmentation des prix de l’énergie, mais également par les subventions massives et considérées comme discriminatoires de l’Inflation Reduction Act américain, lequel fait craindre des délocalisations vers les Etats-Unis.

Emprunt commun

Sous l’impulsion notable de la France, les idées fusent pour répondre à ce plan, et la Commission doit soumettre fin janvier de premières idées avant un sommet des chefs d’Etat et de gouvernement consacré au dossier, prévu début février. Si le commissaire au Marché intérieur Thierry Breton s’active pour obtenir quelque chose d’ambitieux, sa meilleure ennemie, la vice-présidente exécutive chargée de la Concurrence, Margrethe Vestager, alerte au contraire sur le risque d’une course mondiale aux subventions.

« Il nous faut certes plus de flexibilités sur les aides d’Etat, simplifier les procédures pour être capables de débloquer l’argent plus rapidement sur nos projets communs et négocier des exemptions avec les Américains, mais cela ne suffira pas, juge Valérie Hayer, coprésidente de la délégation macroniste au Parlement européen. Pour sortir de nos dépendances, il nous faudra mettre de l’argent sur la table. »

De l’argent, et donc forcément un nouvel emprunt commun, les marges budgétaires ayant déjà été largement escamotées par les réponses à la guerre en Ukraine et à la crise énergétique. Reste à savoir si la France parviendra à convaincre ses partenaires de cette nécessité, alors que les ressources propres à même de rembourser le premier endettement commun manquent toujours à l’appel, et que l’inflation et les prix de l’énergie semblent en reflux. Toute initiative financière pourrait ainsi être renvoyée à l’été, avec la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel. D’ici là, Thierry Breton présentera une proposition de loi sur les matières premières dont l’ambition dépendra là aussi vraisemblablement de la teneur des discussions préalables entre les Vingt-Sept.

La fin de l’inducement

Moins urgente mais tout aussi importante, la réforme des règles budgétaires européennes (lire ‘La Parole à…’), ébauchée par la Commission en novembre dernier, doit faire l’objet de discussions entre les Etats membres avant d’être transformée en proposition législative formelle. Si aucun Etat n’a émis d’opposition de principe face à cette ébauche, Matthias Kullas, chercheur du think tank libéral Centrum für Europäische Politik, ne s’attend pas à des discussions faciles. « En Allemagne, il y a des voix critiques, qui craignent notamment que le Pacte de stabilité et de croissance ne soit plus basé strictement sur des règles mais sur des plans de moyen terme individualisés, explique-t-il. Certains ne sont pas d’accord avec cela, que ce soit en Allemagne ou aux Pays-Bas. Et donc, je ne m’attends pas à une discussion facile. »

En matière financière, enfin, le secteur devra attendre le deuxième trimestre pour voir arriver deux initiatives fortes de la Commission européenne. Au programme, un paquet de propositions sur l’investissement de détail, qui devrait mettre l’accent sur la confiance des investisseurs individuels dans le conseil financier, et probablement interdire les pratiques d’inducement, ce qui pourrait permettre de réduire de plus d’un tiers les coûts des investisseurs de détail. Deuxième projet : un cadre pour l’open banking, qui devrait être centré sur le partage des données des banques.

Concernant les textes déjà sur la table, la présidence suédoise affiche des ambitions limitées, son programme ne mentionnant même pas la réforme d’Emir sur les chambres de compensation, ni le Listing Act, qui doit développer l’attractivité des cotations en Europe, deux propositions présentées fin 2022 par la Commission. Stockholm compte plutôt concentrer ses efforts sur le paquet anti-blanchiment, qui contient la question de la future localisation de la nouvelle agence de l’UE (Amla). Paris a officialisé sa candidature. Le programme de la présidence mentionne aussi le point d’accès unique européen pour les informations financières et non financières (Esap) et le consolidated tape.

Les financiers seront enfin tournés vers le Parlement, qui doit dans les prochains mois arrêter sa position sur le devoir de vigilance des entreprises. Passé entre les gouttes au Conseil, le secteur tentera de réaliser le même tour de force à Strasbourg.

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