
L’Eurogroupe s’accorde enfin, sans lever toutes les ambiguïtés

Après trois jours d’une négociation «très dure, voire très violente par moment» selon les mots de Bruno Le Maire, l’Eurogroupe est parvenu hier soir à s’accorder sur les principes d’une action commune face à la crise du coronavirus qui secoue l’Europe depuis un mois.
Après une nuit de discussions infructueuses entre mardi et mercredi, il a suffi d’une heure aux ministres des Finances pour s’accorder sur des conclusions hier soir. Entre-temps, la France, l’Allemagne et le président de l’Eurogroupe Mario Centeno ont joué les médiateurs entre l’Italie et les Pays-Bas, aux positions inflexibles et inconciliables jusque-là.
Le résultat est de prime abord spectaculaire : le déblocage de trois instruments financiers nouveaux pouvant générer jusqu’à 500 milliards d’euros pour venir en aide aux Etats membres. Ce chiffre impressionnant, martelé par les ministres à l’issue de leur réunion, est toutefois à mettre en perspective avec l’état d’avancement des débats sur les trois différents instruments.
Les ministres se sont ainsi accordés sans surprise sur la proposition de la Banque européenne d’investissement (BEI) de porter à 200 milliards d’euros sa capacité de financement des PME européennes en se fondant sur un fonds de garantie paneuropéen de 25 milliards d’euros, qui serait soutenu par des contre-garanties des États membres. L’Eurogroupe demande toutefois à la BEI de «rendre opérationnelle sa proposition le plus vite possible pour la mettre en place sans délai». Cette solution est indubitablement la plus avancée et devrait se concrétiser rapidement.
«SURE» reste à dessiner
L’Eurogroupe a aussi donné son accord de principe au nouvel instrument proposé par la Commission européenne (CE) la semaine dernière Baptisé «SURE», il vise à lutter contre les conséquences de la crise sanitaire sur l’emploi. Concrètement, la CE entend emprunter jusqu’à 100 milliards d’euros pour refinancer les aides nationales au chômage partiel, en se fondant là aussi sur des garanties nationales de 25 milliards d’euros.
Les Pays-Bas ont toutefois obtenu que cette aide soit temporaire et que son impact soit élargi aux soins de santé. En tant qu’initiative législative concernant les Vingt-Sept, la proposition de la CE sera de toutes façons examinée par les Etats membres et le Parlement européen (PE) avant d’entrer en vigueur. Les négociations seront donc sans doute encore longues et tortueuses autour de ce deuxième instrument.
Conditionnalité à géométrie variable du MES
La mise en place du troisième instrument, le Mécanisme européen de stabilité (MES) demeure bien incertaine, pour l’heure. Fonds de sauvetage permanent de la zone euro, le MES est doté de 410 milliards d’euros disponibles, soit 3,4% du PIB européen prêts à l’emploi. Les ministres se sont certes mis d’accord pour ouvrir à la demande des lignes de crédit à conditions renforcées (ECCL) prévues dans le MES pour les Etats en difficulté budgétaire. Mais ils ont agréé un financement limité pour chaque Etat membre à 2% de son PIB - victoire pour les Etats du nord de l’Europe -, soit 240 milliards d’euros dans le cas de figure hypothétique où tous les Etats feraient appel au MES.
Plus encore, les ministres ont posé à son utilisation une conditionnalité à géométrie variable, en fonction de la lecture qui est faite des conclusions de l’Eurogroupe. «La seule exigence pour accéder à la ligne de crédit sera que l’Etat membre demandant un soutien devra s’engager à utiliser cette ligne de crédit pour soutenir le financement domestique direct ou indirect du système de santé, les soins et la prévention relative aux coûts dus à la crise du Covid-19», stipulent ainsi les conclusions.
Obscures lignes de crédit
Pour Roberto Gualtieri, le ministre italien des finances, c’est clair: «la conditionnalité dans l’utilisation du MES a disparu», écrit-il sur Twitter. Pour son homologue néerlandais Wopke Hoekstra, c’est clair aussi, mais c’est l’inverse: «Les emprunts doivent être liés au coronavirus. L’argent ne doit en aucun cas être utilisé pour contrer les effets économiques directs ou indirects de la crise. Ou alors, la conditionnalité macroéconomique normale s’appliquera».
Rien n’est donc réellement clarifié dans l’utilisation qui sera faite du fonds de sauvetage permanent de la zone euro. Le débat, monté en épingle par la Ligue italienne de Mateo Salvini, concerne de toute façon un instrument que les Etats membres n’utiliseront vraisemblablement pas tout de suite dans la mesure où chacun d’entre eux continue de se financer à des conditions acceptables sur les marchés financiers.
Le comble de l’ambiguïté va pour le «quatrième étage de la fusée» comme il est communément appelé à Bruxelles, soit l’instrument de relance commune sur le plus long terme qui pose, en filigrane, la question du recours ou non à la mutualisation de la dette européenne.
Eurobonds : la balle dans le camp des leaders
Ce fonds «serait temporaire, ciblé et proportionnel avec les coûts extraordinaires de la crise en cours et aiderait à les étaler dans le temps», stipulent les conclusions qui parlent aussi d’«instruments financiers innovants».
«Il est prévu d’étaler les coûts, or pour étaler les coûts je ne connais que la dette. Il est aussi prévu que ce soit une nouvelle forme de financement, or il n’existe que la dette commune comme nouvel instrument» veut croire Bruno Le Maire, qui plaide pour la mise sur pied d’un fonds ad hoc abondé par les Etats membres qui seraient solidaires dans l’émission et le remboursement d’obligations dont les liquidités seraient attribuées aux Etats les plus affectés. Wopke Hoekstra, qui refuse les eurobonds au même titre que l’Autriche, l’Allemagne et la Finlande, a préféré botter en touche au sujet de cette proposition française.
Cette émission de «dette européenne pas passée mais future, limitée dans le temps et dirigée vers un objectif» parviendra-t-elle à faire consensus ? La balle est maintenant dans le camp des chefs d’Etat et de gouvernement.
Plus d'articles du même thème
-
Les droits de douane américains n’empêchent pas les dirigeants d’ETI de dormir
La hausse des droits de douane est perçue comme un facteur d'inquiétude, mais limité. Seules 2% des ETI interrogées en août dans le cadre du baromètre de confiance Grant Thornton font état d’un impact fort sur leur activité. -
Des niveaux de valorisation en trompe-l’œil
Le graphique ci-dessous présente les ratios cours/bénéfices trimestriels de l’indice S&P 500 pondéré par la capitalisation et de sa version équipondérée ainsi que sa moyenne depuis 2010. A première vue, l’indice S&P 500 affiche un niveau de valorisation relativement élevé, (23,5 fois les bénéfices, contre environ 30 fois au début des années 2000), alimentant les inquiétudes quant à une possible survalorisation. -
Le marché européen de nouveau porté par la «value»
Le mois d’août a été relativement calme pour les marchés actions, malgré un newsflow soutenu et la résurgence du risque politique en France. Dans l’ensemble, les risques baissiers et l’incertitude ont certes persisté, qu’il s’agisse des interrogations autour de l’indépendance de la Fed, de la soutenabilité de la dette ou encore de la légalité des droits de douane imposés par l’administration Trump. Néanmoins, les marchés actions ont davantage porté leur attention sur des indicateurs plus fondamentaux, soutenus par une saison de résultats solide et par une Fed dont l’évolution de la fonction de réaction vers le marché de l’emploi laisse entrevoir un prochain assouplissement monétaire.
ETF à la Une

BlackRock lance le premier ETF adossé à la méthodologie MSCI World sur la neutralité géographique et sectorielle
- Le patron de la Société Générale prend la menace Revolut au sérieux
- L’AMF sanctionne Altaroc et ses deux dirigeants à hauteur de 1,3 million d’euros
- Le Crédit Agricole revendique une place dans l’accès aux soins et les services aux plus âgés
- BNP Paribas confirme ses objectifs 2025 et dévoile des ambitions pour 2028
- Fitch abaisse la note de la France
Contenu de nos partenaires
-
Wall Street atteint de nouveaux records, poussée par la Fed
Washington - La Bourse de New York a terminé dans le vert jeudi, tirant profit de la détente monétaire amorcée la veille par la banque centrale des Etats-Unis (Fed) pour atteindre de nouveaux sommets. Les trois principaux indices de la place américaine ont atteint un nouveau record: le Dow Jones (+0,27%) à 46.142,42 points, le Nasdaq (+0,94%) à 22.470,73 points et le S&P 500 (+0,48%) à 6.631,96 points. «La frénésie boursière ne montre aucun signe d’essoufflement après la décision prise hier par la Fed» d’abaisser ses taux d’un quart de point pour les ramener dans une fourchette comprise entre 4% et 4,25%, résume Jose Torres, d’Interactive Brokers. Après neuf mois de statu quo, ce changement de direction monétaire était attendu par les investisseurs. Ces derniers sont donc surtout optimistes pour la suite. Selon la médiane des prévisions de la Fed, ses membres anticipent deux autres baisses de taux (d’un quart de point chacune) en 2025, ce qui impliquerait une nouvelle détente à chacune des réunions programmées d’ici la fin de l’année. «Les parties du marché sensibles aux taux, comme les petites capitalisations, réagissent positivement à cette annonce», souligne auprès de l’AFP Angelo Kourkafas, d’Edward Jones. L’indice Russell 2000, qui comprend 2.000 PME, a ainsi affiché une nette progression (+2,51% à 2.467,70 points), et effacé un record en clôture datant de 2021. La Fed s’est gardée mercredi de s’engager sur les futures baisses de taux. «Ce qu’elle nous a dit, c’est que les données continueront d’avoir beaucoup de poids», relève M. Kourkafas. Selon lui, la baisse des taux annoncée mercredi «doit être considérée comme une mesure préventive plutôt que comme une réaction à une récession économique ou à une forte hausse du chômage». Les nouvelles inscriptions aux chômage ont d’ailleurs reflué la semaine dernière (+231.000 contre +240.000 attendues), selon des données publiées jeudi, ce qui a permis aux investisseurs «de pousser un soupir de soulagement», estime Jose Torres. Cet indicateur a légèrement tendu le rendement des emprunts d’Etat américains, qui évoluait vers 20H15 GMT autour de 4,11% pour l'échéance à 10 ans, contre 4,09% la veille en clôture. Côté entreprises, le fabricant de semiconducteurs et microprocesseurs Intel s’est envolé, porté par l’annonce d’une prise de participation de son rival Nvidia d’une valeur de 5 milliards de dollars. Le titre de l’entreprise a bondi de 22,77% à 30,57 dollars, au plus haut depuis un an. L’action Nvidia a réalisé des gains plus modestes, prenant 3,49% à 176,24 dollars. Avec cet accord, Nvidia et Intel indiquent vouloir développer plusieurs générations de produits pour des centres de données, alors que le boom de l’intelligence artificielle (IA) génère d’immenses besoins en puces électroniques très performantes. Une grande partie du secteur des semiconducteurs a bénéficié de cette annonce, à l’instar de Micron (+5,56%), Qualcomm (+1,74%) et Marvell Technology (+4,58%). Le groupe Live Nation visé, comme sa filiale Ticketmaster, par une action en justice à l’initiative des autorités américaines, a perdu 2,77% à 164,68 dollars. L’agence de protection des consommateurs (FTC) et sept Etats américains reprochent à ces entreprises d’avoir permis à des revendeurs d’acheter des quantités substantielles de billets de spectacles et événements sportifs, en violation des limites d’achat puis de les revendre à des prix bien supérieurs. Nasdaq © Agence France-Presse -
Journée de mobilisation du 18 septembre : "La France n'a pas été bloquée", se félicite Bruno Retailleau
Paris - «La France n’a pas été bloquée» jeudi lors de la journée de mobilisation sociale, qui a rassemblé 506.000 personnes dans le pays, dont 55.000 à Paris, s’est félicité le ministre de l’Intérieur démissionnaire Bruno Retailleau. Le ministre a annoncé, peu après 20H00, 309 interpellations et 134 gardes à vue à la suite des actions et manifestations, où étaient présents «7.300 individus radicalisés, dangereux, black blocs». «Ils ont tenté, on l’a bien vu à travers les images, de troubler, de gâcher des cortèges et des manifestations mais heureusement nos forces de l’ordre» les ont «systématiquement» «contrés», a-t-il précisé lors d’un point de presse en sortant de la cellule interministérielle de crise relative à la journée de mobilisation nationale. Selon le ministre démissionnaire, 26 policiers et gendarmes ont été blessés. «Moi, je ne m’y habitue pas. Là encore, ça n’est pas normal». A Paris, le parquet a annoncé, à ce stade, 29 personnes en garde à vue, dont sept mineurs, «pour la très grande majorité, pour les infractions de participation à un groupement en vue de commettre des violences ou dégradations, violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique, et port d’arme de catégorie D, cette catégorie désignant indifféremment gazeuse, couteau, etc». «On a compté à 19H00 700 actions de voie publique», c’est-à-dire «des tentatives de blocage, de filtrage ou des cortèges», a précisé Bruno Retailleau, et «140 actions de déblocages ont eu lieu, dont 18 à Paris». «Dans la quasi-totalité des cas», les manifestations se sont déroulées «dans de bonnes conditions en province, à Paris également», a-t-il encore dit. «Globalement, il y a moins de participation dans les grandes agglomérations» mais davantage «dans les plus petites agglomérations, dans des villes de province», avec «dans les cortèges beaucoup de présence syndicale et beaucoup moins (...) de présence de lycéens», a détaillé M. Retailleau. «C'étaient deux journées en une, il y avait le mouvement Bloquons tout le matin et ensuite les cortèges en fin de matinée et pendant l’après-midi», a-t-il relaté. «Les forces de l’ordre ont été très, très réactives et nous avons débloqué systématiquement celles et ceux qui prétendaient bloquer un certain nombre d’infrastructures, de lycées ou autres» et «ces interventions précisément ont permis d’assurer la libre circulation (...) sur l’ensemble des grands axes de circulation», a-t-il souligné, rappelant que 80.000 policiers et gendarmes avaient été mobilisés. © Agence France-Presse -
Pornographie : Free propose un VPN gratuit pour contourner la limite d'âge, un député signale l'opérateur à l'Arcom
Strasbourg - Le député PS Thierry Sother a annoncé jeudi qu’il saisissait l’Arcom, le gendarme du numérique, à la suite de la mise à disposition gratuite par Free d’un VPN permettant de contourner l’obligation de certifier son âge pour accéder à des sites pornographiques. Une loi entrée en vigueur cette année interdit aux mineurs l’accès aux sites pornographiques. Mais l’opérateur Free a annoncé mardi mettre gratuitement à disposition de ses abonnés à ses offres mobiles un réseau privé virtuel (VPN), un logiciel qui permet de cacher sa localisation réelle. «Ce dispositif permet à tous les abonnés -sans distinction d'âge- de masquer leur adresse IP, de simuler une connexion depuis l’Italie ou les Pays-Bas et donc de contourner les mesures de restriction d’accès à certains sites, y compris celles liées à la protection des mineurs», explique le député du Bas-Rhin dans un communiqué. L’initiative de Free «soulève de graves préoccupations», poursuit-il. «En offrant aux mineurs un moyen simple d'échapper à ces dispositifs, Free compromet directement l’efficacité et la portée de cette législation» sur la vérification de l'âge. Au-delà de cette loi, le VPN de Free «menace l’ensemble des futures régulations numériques visant à protéger les mineurs et les internautes français», avertit M. Sother. «En particulier, le projet annoncé par le gouvernement d’interdire l’accès aux réseaux sociaux pour les moins de 15 ans deviendrait inapplicable si des opérateurs fournissent eux-mêmes des outils généralisés de contournement». Dénonçant «un risque majeur pour la santé de nos enfants», le député annonce avoir saisi l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) «afin qu’elle enjoigne sans délai à l’entreprise Free de prendre les dispositions nécessaires au respect de la loi». «Le service VPN proposé par Free est un service qui existe déjà par ailleurs, et qui est proposé par de très nombreux acteurs du marché, en France comme à l’international», s’est défendu auprès de l’AFP l’opérateur. Free a aussi précisé offrir «un contrôle parental gratuit sur les offres mobiles», qui reste actif lorsque le VPN est activé, et permettre aux parents de garder le contrôle sur la ligne secondaire de leur enfant. Cinq sites internet pornographiques, qui avaient reçu une mise en demeure en août, ont mis en place des mesures de vérification de l'âge de leurs utilisateurs, a indiqué l’Arcom le mois dernier. Le géant du secteur Aylo, maison mère des plateformes Youporn, Pornhub et Redtube, a en revanche suspendu ses sites en France. Selon une étude menée sur le premier semestre 2024 par l’Arcom, près de 40% des enfants en France accèdent à des sites pornographiques chaque mois. © Agence France-Presse