Facture électronique : La France avant l’Europe

Toute entreprise assujettie à la TVA est concernée par ce big bang. La mobilisation reste perfectible.
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Le ministère de l'Economie et des Finances abrite la Direction générale des Finances publiques (DGFiP).<br/>  - 

E-invoicing et e-reporting, quésaco ? Si vous vous posez la question, il est l’heure d’un cours de rattrapage. Car le jour J du 1er juillet 2024 approche. C’est même demain, au regard des choix à faire et du chantier à mener pour respecter les prochaines obligations faites aux entreprises françaises de généralisation de la facturation électronique. Une contrainte pour les 4 millions d’entreprises assujetties à la TVA s’échangeant 2 milliards de factures concernées annuellement. Décryptage des exigences réglementaires, françaises pour l’instant, en attendant l’uniformisation au sein de l’Union européenne.

Saut technologique, cette facture électronique n’est pas, bien sûr, une facture papier, aujourd’hui encore très répandue, ni même un document PDF transmis par courrier électronique. C’est un ensemble de données nativement sous format structuré garantissant leur intégrité. Sur ce support, le nouveau dispositif – et il s’agit d’une évolution fondamentale – interdira l’échange direct de facture entre fournisseur et client, il faudra la faire circuler dans un schéma numérique dit en Y où l’acheteur et le vendeur figurent les pointes hautes et l’administration fiscale la pointe basse (voir l’illustration page 34). Car si la réforme doit profiter aux entreprises en matière de fluidité des flux et donc d’efficience opérationnelle, elle se base originellement sur la quête par la puissance publique d’optimisation de la collecte de la TVA, grâce à une centralisation exhaustive des factures. Une (r)évolution qui ne va pas de soi.

26 juin, date limite de dépôt de candidature pour la phase pilote

« La première étape indispensable pour l’entreprise consiste en un état des lieux des outils, flux et données liés au processus de facturation », préconise Magali Pelletier, responsable offres finance chez Itesoft. La question de la data ne doit pas être sous-estimée, insiste-t-elle, « aujourd’hui beaucoup de référentiels comportent des erreurs, qui souvent ne sont pas nettoyées au fil de l’eau, chaque facture est rectifiée en aval. Ce ne sera plus possible demain ». « Ce défi de la cartographie passe par un audit des process », ajoute Nathalie Habibou, avocate associée du cabinet Arsene dédié à la fiscalité, qui souligne que la vigilance doit être réservée aux « cas d’usage », quand la facture n’est pas émise de manière standard mais sous la forme par exemple d’avoir, d’acompte ou d’auto-facturation.

Choix d’une plateforme de dématérialisation

La connaissance intime de l’existant permet de se projeter. Particulièrement sur le choix du trajet entre pointes hautes et basse du Y. Juste en amont du réceptacle fiscal se placera le portail public de facturation (PPF), les entreprises pourront, éventuellement avec l’aide d’un opérateur de dématérialisation (OD), y recourir en direct ou par le biais de plateformes de dématérialisation partenaires (PDP). Face au PPF gratuit, des prestataires privés payants. Mais si, en théorie, l’appel à une PDP n’est pas contraint, elle peut en pratique rendre de fiers services à valeur ajoutée quand le PPF assurera un service minimum : « aux entreprises par exemple échangeant déjà sous format structuré dit EDI pour ‘electronic data interchange’ », juge Cyrille Sautereau, président du Forum national de la facture électronique et des marchés publics électroniques (FNFE-MPE). « C’est le cas dans des secteurs comme l’agroalimentaire, l’automobile ou la grande distribution, précise-t-il. Ces entreprises vont probablement choisir une PDP de façon à affecter le moins possible leurs flux déjà intégrés. La PDP assurera les contrôles réglementaires et l’extraction des données requises pour les transmettre au PPF, tout en maintenant le format EDI en production. »

4 millions d’entreprises assujetties à la TVA s’échangent 2 milliards de factures annuellement

« Les services des PDP iront bien au-delà de la facture, comme le paiement assorti de la lutte contre la fraude notamment avec la vérification de cohérence entre un Iban et son titulaire », ajoute Alexandra Rosset, spécialiste du cash management au sein du cabinet Finegan. A ses yeux, « plus que la taille de la société, le point discriminant d’accès direct au PPF sera le volume des factures ». « Les petites entreprises avec un faible volume de facturation pourront envisager la voie vers le PPF. Les autres, dans un objectif d’automatisation des flux plus conséquents, pourront difficilement se priver de PDP ou d’OD, selon Magali Pelletier. En pratique, les flux, non monolithiques, continueront de s’accorder à une typologie diversifiée de factures. »

Sur ce chemin, le fait qu’aucune PDP ne soit encore immatriculée n’aide pas la visibilité des entreprises. « On ne sait pas encore qui sera PDP l’année prochaine car le processus d’immatriculation est dépendant de la capacité à démontrer la connexion avec le PPF qui sera disponible en décembre 2023. Il faut donc deviner », indique Cyrille Sautereau.

Un calendrier serré

Le travail de préparation implique de se conformer aux mentions supplémentaires obligatoires sur la facture, à savoir le numéro identifiant Siren du destinataire, la catégorie de l’opération, l’adresse de livraison si elle est différente de l’adresse du client et la mention d’option de paiement de la TVA sur les débits. Sans oublier que les modalités de l’e-reporting répondront à un « système complexe », note Alexandra Rosset, notamment quant à sa fréquence, en fonction du régime de TVA de la société.

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En termes de calendrier, toutes les entreprises devront être capables l’été prochain de recevoir la facture électronique selon sa nouvelle définition, tout comme les grandes entreprises devront pouvoir en émettre, suivies des entreprises de taille intermédiaire (ETI) le 1er janvier 2025 et des plus petites (TPE/PME) le 1er janvier 2026. Sachant que la circulation des factures nouvelle mouture, au sens strict l’e-invoicing, concernera les transactions franco-françaises entre entreprises (BtoB, Business-to-business), alors que l’e-reporting, dont le calendrier de mise en route par taille d’entreprise est identique, consiste en une transmission de données pour les autres opérations commerciales. A savoir de BtoB international et avec des particuliers (BtoC, business-to-customer), avec comme objectif le pré-remplissage de la déclaration de TVA.

L’administration fiscale tient coûte que coûte à déployer la réforme pour juillet 2024 et aucun report ne devrait intervenir
NATHALIE HABIBOU, avocate associée du cabinet Arsene dédié à la fiscalité

Ce calendrier, déjà repoussé d’un an et demi, « est serré. Vu de haut, les principes sont clairs et simples Mais concrètement, le diable est dans les détails et la mise en œuvre nécessite de s’y pencher très sérieusement », glisse Cyrille Sautereau. « L’administration fiscale tient coûte que coûte à déployer la réforme pour juillet 2024 et aucun report ne devrait intervenir », estime Nathalie Habibou, qui met en exergue que « les entreprises souhaitant faire appel à une PDP devront s’engager sans certitude de l’avis favorable de l’audit d’immatriculation. Se pose donc notamment la question de la garantie de la sécurité des données ». Le calendrier débutera en réalité par une phase pilote. L’administration a lancé en avril un appel à candidatures, les parties intéressées ayant jusqu’au 26 juin pour se présenter, avant démarrage des tests prévu le 3 janvier prochain. Il faudra venir jouer en équipe pour prétendre participer, en présentant un échantillon de l’ensemble de l’écosystème des parties prenantes. Nathalie Habibou pointe des incertitudes quant aux modalités du pilote, tenant notamment à la nature des factures testées, originales et/ou fictives.

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Cette phase pilote participe aux vœux de mobilisation. Car la prise de conscience reste semble-t-il perfectible. « Par ignorance avant tout, notamment face aux exigences de réception dès l’an prochain, de trop nombreuses TPE et PME, voire de petites ETI, se disent sans doute qu’elles ont encore le temps », regrette Magali Pelletier chez Itesoft. « Beaucoup de sociétés sont débordées par toutes sortes de projets, réglementaires ou non, elles n’engageront les moyens humains et financiers que lorsque l’ensemble des tenants et aboutissants seront connus », abonde Alexandra Rosset chez Finegan. Les efforts de sensibilisation et de pédagogie pourtant sont nombreux, passant par de multiples webinaires des divers prestataires ou une action volontariste du maître d’œuvre qu’est la Direction générale des Finances publiques (DGFiP). Celle-ci a créé en septembre 2022 « une communauté des relais regroupant près de 150 entités ambassadrices de bonne volonté », explique Céline Frackowiak, directrice de projet facturation électronique à la DGFiP. Sans oublier l’action sur le terrain au sein des directions régionales et départementales des finances publiques qui abritent un réseau de près de 150 référents. Un site internet dédié et une grande campagne de communication en plusieurs étapes sont aussi annoncés à partir de fin 2023. Gageons que de tels efforts pourront motiver les entreprises.

Perturbations

Mais alors que s’échafaude progressivement le cadre français de généralisation de la facture électronique, la Commission européenne avance déjà sur l’harmonisation régionale. Si certains pays traînent des pieds, d’autres ont déjà agi comme l’Italie, l’Espagne, la Grèce ou la République Tchèque. Mais en ordre dispersé au niveau national, « avec des obligations qui peuvent sensiblement diverger, concernant par exemple les formats de factures ou les délais de transmission », pointe Nathalie Habibou chez Arsene, ce qui « fragmente le système de TVA communautaire alors que l’objectif à terme est celui d’une déclaration européenne unique ».

En l’occurrence, la Commission européenne a publié le 8 décembre dernier une proposition de directive, dite ViDA (VAT in the digital age). Si cette dernière, a priori, « laisse aux Etats membres une grande marge de manœuvre, selon Christian van der Valk, vice-président de la stratégie chez Sovos, elle va perturber de nombreuses entreprises, en particulier dans les pays où la facturation électronique interentreprises n’est pas obligatoire aujourd’hui », passant par l’interdiction des factures récapitulatives ou la fin d’acceptation du PDF, « … à moins qu’un Etat n’en fasse expressément une exception dans sa législation ». Si, pour Céline Frackowiak à la DGFiP, « il est encore trop tôt pour se prononcer sur la date d’entrée en vigueur d’un tel texte », qui nécessite discussions et délais de transposition, la Commission a évoqué l’horizon d’entrée en application des dispositions échelonnée d’ici au 1er janvier 2028.

Modèle français

Il faut, quoi qu’il en soit, rassurer les entreprises françaises. Les efforts à déployer aujourd’hui ne seront pas vains : l’uniformisation ne sera pas, aux yeux des personnes interrogées, un second big bang de mise en œuvre. « Bien au contraire, la France a réussi à insuffler sa vision », estime Magali Pelletier chez Itesoft. « La proposition s’inspire du modèle français, abonde Céline Frackowiak à la DGFiP. A titre illustratif, les données attendues et les formats électroniques s’inscrivent en cohérence avec ce modèle. » Et alors que ViDA « devrait compléter les règles déjà prévues en France telle celle du système décentralisé dit en Y qui serait celui privilégié par la Commission européenne, plaide Nathalie Habibou, il faudra s’assurer par exemple de l’interopérabilité des formats français avec le standard européen pour les mentions sur facture, sachant que de nouvelles mentions sont déjà à anticiper ». Toute adaptation nécessaire en France « sera certainement effectuée à temps par l’administration fiscale », mise Christian Van der Valk.

Pour autant, glisse-t-il, les entreprises ayant des activités internationales doivent dès maintenant commencer à réfléchir à leur stratégie de mise en conformité européenne. La facture électronique ne les laissera pas reprendre leur souffle. La non-conformité n’est pas une option : au-delà des sanctions pécuniaires déjà prévues en France, les entreprises s’exposent, comme le souligne l’avocate associée d’Arsene, « à des risques de réputation et de défaut de paiement » : car nul ne pourra payer une facture non reçue car non conforme.

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