«Les infrastructures ne sont pas des actifs sans risque»

Stéphane Tortajada, directeur financement et investissements du groupe EDF, nous fait part des investissements réalisés par son groupe, notamment en actifs réels au sein de son portefeuille dédié au démantèlement des centrales nucléaires. Ces derniers sont réalisés essentiellement en fonds propres, dans un champ géographique très large.

Quels sont les portefeuilles d’investissement gérés par vos services ? Les investissements portés par EDF concernent plusieurs segments. Nous gérons d’abord des portefeuilles financiers dont notamment, de façon classique, la trésorerie. Par ailleurs, nous gérons un portefeuille d’actifs adossé à des engagements au passif d’un montant total de 42 milliards d’euros à fin 2016. Il comprend les actifs dédiés au démantèlement des centrales nucléaires qui en représentent une part très importante avec un montant de 26 milliards d’euros. Ce portefeuille a en effet été constitué afin de répondre à la nécessité à terme de démanteler les centrales nucléaires qui seront en fin de vie. Nous disposons aussi d’actifs de couverture, ils concernent les provisions pour indemnités de fin de carrière et pour la retraite de nos salariés. Ces provisions s’élèvent à 11,6 milliards d’euros. Et enfin, nous supervisons dans le cadre de cette gestion actif/passif les portefeuilles d’épargne salariale qui représentent un montant de 5 milliards d’euros. Pourriez-vous décomposer votre portefeuille d’investissement ? Les actifs dédiés au démantèlement des centrales nucléaires se répartissent ainsi : 8 milliards d’euros de titres et OPCVM actions, 6,9 milliards d’euros dans le portefeuille obligataire, 0,9 milliard d’euros en trésorerie, 4,3 milliards en créances et enfin de 5,6 milliards en actifs réels. Nous investissons dans ce portefeuille principalement dans des actifs de long terme voire de très long terme. Notre portefeuille d’actifs de couverture des retraites et indemnités de fin de carrière, d’un montant de 11,6 milliards d’euros, est géré via des contrats d’assurances (capitalisation). Ces contrats ne concernent que les retraites du périmètre France avec une allocation à 70% composée d’obligations et 30% d’actions. Dans quels actifs réels investissez-vous ? Notre portefeuille d’actifs réels dans le cadre des actifs dédiés, avec une valeur de réalisation à fin 2016 de 5,6 milliards d’euros, est réparti sur trois poches : les infrastructures, l’immobilier et les fonds d’investissement -y compris en co-investissements-. Notre poche infrastructure représente la majeure partie de notre portefeuille d’actifs réels avec huit actifs situés en France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie et Espagne. Nos investissements dans la poche infrastructures, en sus du Réseau de transport d’électricité (RTE) qui représente une part significative du portefeuille, sont : Transport et Infrastructures Gaz France (TIGF) que nous avons acquis auprès de Total via un consortium avec Snam (l’opérateur de transport et de stockage de gaz italien) et GIC, le fonds de l’Etat de Singapour pour une valeur d’entreprise totale de 2,4 milliards d’euros. Nous avons aussi investi dans Porterbrook l’une des trois principales sociétés de location de matériel ferroviaire roulant au Royaume-Uni, dans Aéroports de la Côte d’Azur, la deuxième société aéroportuaire française après ADP ou encore dernièrement dans Autostrade per l’Italia, le plus grand gestionnaire de concessions autoroutières d’Europe et dans Q-Park aux Pays-Bas qui est l’un des principaux opérateurs de parcs de stationnement en Europe. Concernant la poche immobilière, jusqu’alors nos investissements ont été faits en France dans des ensembles totalisant 145 000 m² de bureaux. En 2017, nous sommes sortis de nos frontières pour investir dans Central SICAF, portefeuille d’actifs de bureaux et locaux techniques d’une surface totale de 1 100 000 m² loués en intégralité à Telecom Italia. Notre portefeuille d’actifs réels a été créé en 2013, il est donc assez récent avec pour but de diversifier le portefeuille global d’actifs dédiés. Il a évolué dans le sens où il a gagné en volume mais nous restons sur nos trois poches d’investissement définies au départ. Le montant dans les poches dépend aussi des opportunités que nous pouvons saisir. Comment avez-vous sélectionné les projets d’infrastructure dans lesquels vous investissez ? Nos investissements reposent sur le triptyque suivant : des actifs avec une prévisibilité des flux de trésorerie (cash-flows) sur le long terme assurant un revenu (cash yield) stable, un positionnement d’actionnaire de long terme, un rôle dans la gouvernance afin d’assurer le suivi de la gestion. Nos investissements se font donc surtout en fonds propres en raison des exigences de retour sur investissement du portefeuille d’investissement dédié au démantèlement. Le champ géographique est très large : l’OCDE, avec un focus sur l’Europe pour les investissements directs. Quelle place doit impérativement conserver le secteur public, quelle part déléguer au privé ? Quand on parle d’infrastructure, on s’intéresse aux facilités nécessaires voire indispensables à la vie économique et sociale. Ces actifs sont dédiés à la mobilité et au transport de marchandises, de l’eau, de l’énergie et aux moyens de communication. Il s’agit donc de domaines clefs pour un Etat ou une collectivité. Par ailleurs, le développement des infrastructures conserve un caractère difficilement duplicable avec des tickets d’entrée significatifs. Pour ces raisons, le rôle de l’Etat ou de la collectivité en phase d’amorçage est essentiel. Ainsi, l’Etat et les collectivités ayant une visibilité sur leur « pipeline » de projets doivent financer les créations d’infrastructures et porter l’investissement. Un investisseur privé sera plus adverse aux risques notamment aux risques de construction, ce qui se ressentira dans son estimation des coûts et dans le retour sur investissement demandé. En revanche, une fois l’actif construit, l’Etat ou la collectivité peuvent le céder au meilleur prix à des investisseurs privés avec un coût du capital plus bas, l’actif ayant un prix moins important car le risque de construction n’est plus présent. Qui plus est, il commence alors à faire rentrer des flux de trésorerie. Les capitaux provenant de cette cession peuvent ensuite être recyclés pour développer d’autres projets. Pensez-vous qu’il y a une surchauffe dans le secteur des infrastructures ? Ces dernières années, il y a eu un fort appétit des investisseurs pour les classes d’actifs réels, notamment dans les infrastructures, pour optimiser le rendement des portefeuilles et le désensibiliser des marchés actions et des obligations. Le segment des infrastructures croît de 22% par an depuis 2011, soir le double de l’immobilier, et il existe un potentiel de croissance encore très fort car les infrastructures ne représentent que 1% des actifs des investisseurs institutionnels. On note un fort attrait actuellement pour les maturités longues à savoir 15/20 ans d’immobilisation des capitaux avec des tickets unitaires d’opération en moyenne autour de 100 millions d’euros et une illiquidité beaucoup mieux acceptée que par le passé. L’afflux de capitaux commence cependant à créer des tensions et un gonflement des prix sur le secteur avec en corollaire une pénurie d’actifs disponibles. Il est important de souligner que les infrastructures ne sont pas des actifs sans risque, elles sont notamment exposées à des risques régulatoires ou de trafic. Il faut donc rester prudent avec une appréciation la plus juste possible du risque et plus généralement du couple rendement/risque. Propos recueillis par Claire Nizart Interview réalisée en amont de la Journée Nationale des Investisseurs.

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