Bientôt deux ans se sont écoulés depuis le premier financement par placement privé au format « Euro PP » et force est de constater que le développement de cette nouvelle manne ne s’est pas fait au rythme escompté. Le décret du 2 août 2013 modifiant le code des assurances a ouvert des perspectives en portant à quelque 90 milliards d’euros la capacité d’investissement des assureurs français dans le financement de l'économie, en direct ou via les fonds de prêt à l'économie. Cependant, les montants levés, 8 milliards d’euros environ à fin mai, essentiellement en direct (5 milliards d’euros) et dans une moindre mesure par l’intermédiaire de fonds de dette spécialisés (3 milliards d’euros), ne sont pas négligeables. Symptomatique de la situation, l’initiative de place NOVO, qui regroupe sous l'égide de la Caisse des Dépôts et Consignations les intérêts de 27 investisseurs à travers deux fonds, n'était pas encore parvenue au quart de son objectif (1,1 milliard d’euros), ayant jusque-là attribué 250 millions d’euros de financement à des entreprises de taille intermédiaire (ETI). «Nous sommes dans le rythme de déploiement prévu», a relativisé Bertrand Labilloy, directeur des affaires économiques et financières de la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA) au cours d’une table ronde organisée par la Revue Banque. «Les gérants sont très soucieux de la qualité de la souscription et de la structuration des opérations. Ils cherchent notamment à parer au risque de la survenance d’un incident qui pourrait inciter le régulateur à fermer les vannes», a-t-il expliqué. Relation gérants-entreprises Dans l’ombre de NOVO, d’autres fonds de prêts aux entreprises sont en train de voir le jour (AG2R La Mondiale, Schelcher Prince Gestion, Ofi AM...), imitant ainsi les premières sociétés de gestion à s'être lancées dans le financement direct des ETI/PME (Amundi, Tikehau ou encore AXA IM), sans compter les quelques initiatives de dette immobilière et d’infrastructure. Ces fonds, qu’ils soient abondés par l’assureur maison ou des souscripteurs tiers, affichent en règle générale des capacités de financement de plusieurs centaines de millions d’euros. «Le développement d’un fonds se fait en trois temps. La communication sur son lancement, plutôt de l’ordre de l’effet d’annonce, est suivi du closing, pour lequel il faut convaincre des investisseurs institutionnels de participer au tour de table. Le gérant doit enfin procéder au déploiement des capitaux, qui est de loin l'étape la plus longue», détaille Thibaut de Saint-Priest, directeur général d’Acofi. Le rythme de réalisation des investissements est notamment soumis à une phase d’apprentissage des gérants de la relation avec les candidats à l’emprunt, d’autant plus longue que ceux-ci sont le plus souvent des sociétés non notées voire non cotées. «Contrairement à une banque, les sociétés de gestion n’entretiennent pas une relation au quotidien avec les entreprises et peuvent avoir de fait des exigences spécifiques qui ne sont pas toujours bien comprises», observe Thibaut de Saint-Priest. Ces nouveaux fonds de dette sont également soucieux de leur capacité à structurer une documentation juridique qui protège suffisamment leurs intérêts en cas d’incident. «De fait, comme NOVO et les autres fonds sont en période sensible de réalisation des investissements, ils n’ont quasiment pas le droit à l’erreur. Pour pouvoir lever de nouveaux fonds, les sociétés de gestion doivent être en mesure d’offrir un fort niveau de sécurité à leurs clients institutionnels», souligne Muriel Nahmias, Senior Director, responsable Conseil en Dette Privée chez bfinance. À cela s’ajoute un contexte de marché marqué par l’accélération de la baisse des taux longs et du resserrement des spreads de crédit, ce qui ne facilite pas la tâche des assureurs. «Risque ou rendement ? Vers quoi va pencher la balance dans les mois à venir ? Certains fonds sont en train de revoir leur couple rendement / risque. De leur choix dépendra en partie l'élargissement du gisement des ETI/PME éligibles à l’EuroPP», anticipe Muriel Nahmias. Duration et diversification Les termes et conditions des Euro PP traduisent le plus souvent côté prêteur la prise en considération des contraintes propres aux assureurs qui, outre le fait d'être les principaux investisseurs dans les fonds de prêts, sont nombreux à souscrire en direct aux opérations. «Du point de vue de l’emprunteur, une des valeurs ajoutées d’un financement par un investisseur institutionnel se situe dans la possibilité d’allonger la maturité par rapport à un prêt bancaire», indique Muriel Nahmias. «Jusqu’ici, 80 % des placements privés au format euroPP affichent une échéance initiale de 6 ou 7 ans. C’est plus long qu’un financement bancaire mais pas encore assez pour être différenciant, du moins tant que le marché bancaire restera aussi compétitif», précise-t-elle. À l’instar des banques avec les règles de Bâle III, les assureurs doivent se conformer à une réglementation prudentielle européenne (Solvabilité II) qui les contraint à mobiliser des fonds propres selon le risque de crédit et la duration de leurs actifs. «La duration moyenne des passifs de l’assurance-vie est certes de dix ans mais la grille de pondération en capital prévue dans Solvabilité II se veut relativement plus pénalisante pour les prêts d’une telle maturité ou plus. D’autre part, les assureurs cherchent à se protéger contre le risque de hausse des taux en prêtant un peu plus court que la duration de leur passif», justifie Bertrand Labilloy. L’intérêt des assureurs pour le financement des entreprises est soutenu par la faiblesse historique des taux souverains, qui les incite à diversifier leurs placements. Dans cette perspective, ils cherchent avant tout à ce que les spreads « ne soient pas trop écrasés » de manière à préserver le niveau des rendements servis à leurs assurés. «Les assureurs offrent également aux entreprises la possibilité de diversifier leur base de prêteurs dans une optique de partenariat à long terme. Certes, les Euro PP sont encore, dans certains cas, 150 à 200 points de base plus chers qu’un crédit bancaire mais la documentation juridique est généralement plus flexible et la question de l’allocation du side-business ne se pose pas», souligne Muriel Nahmias. «Pour l’heure, l’apport des assureurs dans le financement des entreprises ne peut être que complémentaire à celui des banques compte tenu de capacités de prêt limitées au regard d’un encours actuel de crédits mobilisés en France de l’ordre de 800 milliards d’euros - dont 700 milliards à plus d’un an et 570 milliards sur les PME et ETI». Vers une européanisation de l’euroPP ? Reste que les capacités d’investissement du secteur institutionnel français dans les prêts aux entreprises de taille intermédiaire devraient bientôt bénéficier d’un nouveau relais de croissance. Une proposition de texte prévoyant d’ouvrir l’accès des fonds de prêts aux mutuelles de santé et de prévoyance vient d'être soumis à consultation et des modifications sont attendues pour août ou septembre. L’extension des dispositions réglementaires laisse néanmoins de côté certains investisseurs institutionnels de premier plan, tels que le Fonds de Réserve pour les Retraites (FRR), l’Etablissement de retraite additionnelle de la fonction publique (ERAFP) ou encore les institutions de l’Agirc et de l’Arrco, dont les règles de fonctionnement ne sont pas régies par le Trésor. Enfin, les travaux qui ont contribué à l’essor de l’Euro PP en France pourraient bien servir de base à la constitution d’un marché paneuropéen du placement privé. Un groupe de travail coordonné par l’association internationale des marchés de capitaux (ICMA), et incluant des associations issues de plusieurs pays en Europe, ??uvre actuellement au développement de pratiques communes en s’appuyant notamment sur le contenu de la charte €PP française. Un groupe de travail a également été mis en place au niveau de la Loan Market Association (LMA) pour réfléchir à une adaptation de la documentation standard des crédits bancaires afin de compléter le document français par un modèle de contrat de placement privé non coté.