Relocalisation : quels enjeux pour les investisseurs responsables ?

Sycomore
Anne-Claire Imperiale, Directrice Durabilité, Sycomore AM
V4_Anne-Claire Imperiale light.png

Quels sont vos points d’attention pour qualifier une relocalisation de «juste et pérenne» ?
La réussite d’une relocalisation, sa pérennité, est le fruit d’une vision stratégique. La décision de relocaliser une production doit s’inscrire pour une entreprise dans une stratégie d’ensemble, une nouvelle dynamique, un modèle non plus seulement global mais désormais « glocal » : un souhait de se rapprocher de ses marchés finaux, de raccourcir ses chaînes de valeur, afin de mieux en maîtriser les risques. Structurellement, cette approche va de soi dans certains secteurs, tels que l’agroalimentaire. Alors que de plus en plus d’entreprises se posent la question de relocaliser et de raccourcir leurs chaînes de valeur pour mieux les maîtriser, nous avons la conviction que cela représente de réelles opportunités pour une meilleure prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux. Pour qu’un projet de relocalisation soit « juste », la prise en compte des attentes et des impacts sur les différentes parties prenantes est clé : les fournisseurs, partenaires et sous-traitants, les salariés, les clients, les collectivités ainsi que l’environnement.

Quels sont les freins à une relocalisation «juste et pérenne» et peuvent-ils être levés ?
Le coût du travail dans certains pays d’Europe est un frein mais il peut être levé. Il peut être compensé par les économies réalisées sur la chaîne logistique, par l’optimisation des modes de production, qui reposent sur une plus grande automatisation ou encore par une meilleure gestion des stocks. Un second frein concerne la disponibilité de la main d’œuvre formée : parvenir à recruter des compétences localement peut être une difficulté. D’autant plus que la question de l’attractivité des métiers industriels continue à se poser. Elle est même centrale dans certains pays comme la France. A titre d’illustration, les entreprises doivent pouvoir proposer des rythmes de travail attractifs, à défaut de pouvoir offrir du télétravail. La question des infrastructures, de transport en particulier, est également cruciale. En France, une autre difficulté à laquelle sont confrontées les entreprises qui cherchent à s’implanter est l’absence de filière, donc de fournisseurs, car certains savoir-faire, à l’image du textile ou de la faïence, sont principalement dédiés au secteur du luxe. Il ne leur est pas facile de se tourner vers des productions plus grand public, avec de plus fortes contraintes de prix.

La bonne acceptabilité et l’accompagnement d’un projet d’implantation est nécessaire à sa réussite. A ce titre, l’implication de l’ensemble des parties prenantes, dont les collectivités locales, s’avère indispensable. L’entreprise qui vise un lieu pour implanter son activité pourra ainsi se rapprocher des pouvoirs publics concernés pour s’assurer que ses besoins seront pris en compte, apporter des réponses aux défis à relever et co-construire le projet.

Dans cette perspective de relocalisation, quels rôles respectifs jouent les différents investisseurs ?
Les approches des différents types d’investisseurs sont complémentaires. Les fonds de private equity apportent de nouveaux capitaux et peuvent s’appuyer sur des leviers efficaces pour faire évoluer les entreprises, en fixant des conditions à leur apport de capitaux, en exigeant des résultats, en liant la rémunération des dirigeants à leur atteinte et en siégeant aux conseils d’administration. Les institutionnels, pour leur part, sont de plus en plus souvent demandeurs d’impacts mesurables (par exemple le nombre d’emplois créés), pour leurs investissements en actifs cotés comme non cotés, en particulier dans le contexte actuel de défense de la souveraineté européenne : ils peuvent promouvoir la création de produits financiers permettant de répondre à cette recherche d’impacts. Pour les gérants d’actifs comme Sycomore AM, la question de l’horizon d’investissement est clé, les projets de relocalisation nécessitant du temps et des investissements. C’est l’une des forces des gérants actifs de long terme. L’accompagnement de projets de relocalisation peut s’inscrire dans notre politique d’engagement actionnarial. Les thèmes d’engagement pourront couvrir les éléments de rémunération associés à la réussite du projet, l’évaluation des impacts pour toutes les parties prenantes, la bonne adéquation de ce projet avec la stratégie en matière de climat, de biodiversité ou de compétences. Nous pouvons aussi nous intéresser à la structure de gouvernance et d’organisation de l’entreprise afin d’identifier sa bonne capacité à prendre en compte les enjeux des territoires sur lesquels elle s’implante et à être un acteur des écosystèmes locaux grâce à un modèle de gouvernance décentralisé.

Ce document reflète l’opinion de son auteur à la date de publication. Il ne constitue pas une recommandation d’investissement

Plus d'articles du même thème