
Contre l’inflation, les unités de compte gardent la main

Par Nicolas Thilliez, actuaire associé chez Galea, et Emmanuel Codet, senior manager chez Galea
L’étude des taux de rendement des actifs en euros en 2022 de dix organismes assureurs interrogés* a mis en évidence une forte remontée dans la foulée de la forte hausse des taux d’intérêt. Cette évolution marque une nette inflexion après une baisse continue sur les cinq à dix dernières années. Pour autant, les perspectives à moyen terme pour le fonds en euros restent incertaines. Une espérance de performance devrait ainsi passer par une dose d’investissement dans les supports en unités de compte (UC).
Une politique de distribution « à la carte »
Les taux de rendement servis par les organismes assureurs correspondent à un taux minimum sur l’épargne en cours de constitution. Pour autant, on constate depuis plusieurs années différentes politiques de participation aux bénéfices, en fonction des objectifs recherchés par les organismes assureurs :
une disparité de plus en plus marquée, en fonction des produits. Les opérateurs segmentent leur portefeuille, en vue d’une attribution de participation aux bénéfices différenciée suivant les encours. Il peut s’agir de favoriser le lancement des produits les plus récents (plans d’épargne retraite – PER – en particulier) ou de décourager la collecte sur des gammes onéreuses en termes de contraintes réglementaires ;
la généralisation des bonus de rendement. Afin d’inciter les entreprises et les assurés à limiter leurs encours placés sur le fonds en euros, une grande majorité des organismes assureurs accordent un bonus de rendement lorsqu’une part significative de l’épargne est investie en UC. Le taux de rendement brut de l’épargne en euros peut ainsi augmenter jusqu’à 100 points de base (+1 %) lorsque l’essentiel de l’épargne est exprimé en UC, mais il s’appliquera alors sur une assiette réduite.
Il sera intéressant de voir si la politique de bonus évolue prochainement. En effet, dans le nouveau contexte économique né de la remontée des taux d’intérêt, certains acteurs pourraient trouver opportun de favoriser la collecte sur le fonds en euros.
De nouveaux enjeux dans le choix de la gestion financière
Le simple comparatif des taux de rendement bruts sur les actifs en euros, distribués par un organisme assureur d’une année sur l’autre, ou bien entre deux opérateurs, n’est ni suffisant, ni pertinent, pour prendre une décision éclairée, dans le choix de son opérateur ou dans celui de sa gestion financière.
Il faut tout d’abord rappeler qu’au-delà de la seule performance distribuée, les souscripteurs de contrats collectifs doivent être vigilants sur plusieurs points pour suivre la revalorisation de leur contrat de retraite supplémentaire :
n en amont, la stratégie d’investissement de l’opérateur, en termes d’exposition aux différentes classes d’actifs ;
n en aval de celle-ci, la politique de mise en provision d’une partie des rendements de l’actif en euros, dans la « provision pour participation aux excédents » notamment qui permet de lisser dans le temps la distribution des résultats issus de la gestion du fonds en euros ;
n enfin, les conditions contractuelles qu’ils ont négociées, notamment sur les taux de participation aux bénéfices et sur les taux de prélèvements sur encours.
Signalons également la mise en place, jusqu’en 2022, des fonds de retraite professionnelle supplémentaire (FRPS), solution retenue par la quasi-totalité des acteurs du marché. Cette structure permet d’accueillir tout ou partie des engagements d’épargne retraite d’entreprise. Son régime prudentiel, pour sa partie quantitative, est proche de Solvabilité 1, permettant ainsi d’alléger les contraintes en termes de fonds propres pour l’assureur, tout particulièrement en période de taux bas.
Autre avantage pour les assureurs, le délai de redistribution de la provision de participation aux bénéfices est porté de huit ans (règle générale) à quinze ans, en cohérence avec la gestion à long terme de ces risques. Le FRPS facilite ainsi une allocation d’actifs de long terme plus dynamique et statistiquement plus performante. Mais les engagements transférés dans les FRPS étant « cantonnés », il convient de rester vigilant sur les autres passifs qui y sont présents.
Le choix des supports en euros ne peut plus s’imposer a priori comme le meilleur. La garantie du capital se paie au prix d’une rémunération qui – une fois diminuée des frais sur encours – peut se révéler (très) inférieure à l’inflation. Dans le cas des PER, la constitution d’une épargne retraite supplémentaire cherchant à augmenter sensiblement le taux de remplacement d’un assuré devrait s’appuyer sur la recherche d’un rendement supérieur. C’est l’un des aspects dont les pouvoirs publics avaient tenu compte, à l’occasion de la loi Pacte, en incitant les épargnants à retenir, par défaut, une gestion pilotée, c’est-à-dire comportant une part en UC.
Dès lors, le choix d’un dispositif assurantiel doit également s’accompagner d’une analyse des supports en UC proposés par l’opérateur, et vers lesquels l’entreprise ou les salariés pourront orienter leurs versements.
Evolution de l’information
Il conviendra d’examiner la structure même des grilles de gestion proposées, et surtout des supports qui la composent : nature et performances des sous-jacents, niveau des frais et des rétrocessions accordées à l’organisme assureur, indices de référence prévus, et comparatif avec des fonds équivalents. On pourra noter à cet égard une évolution de l’information donnée aux salariés épargnants dans les fonds en UC. Au DICI (document d’informations clés pour l’investisseur) a succédé le DIC au début de l’année 2023 : le calcul de l’indicateur de risque évolue, conduisant, pour des fonds classiques (actions, obligations, mixtes…), à un niveau plus faible sans que le risque ait évolué. Les performances passées ne figurent plus sur le DIC, remplacées par des performances attendues du produit selon quatre scénarios. Une nouvelle information prospective sur les frais prélevés sur la durée de détention du fonds est prévue, que son format peut rendre difficilement appréhendable pour les entreprises souscriptrices, et à plus forte raison pour les salariés bénéficiaires.
En conclusion, si la remontée du rendement du fonds en euros en 2022, voire en 2023, marque une inflexion, elle ne permet pas de compenser l’inflation à court, voire moyen terme. Dans un contexte réglementaire changeant, une analyse approfondie de l’offre de gestion financière est nécessaire en amont pour bien visualiser tous les enjeux. Cet exercice devrait être mené régulièrement, permettant ensuite au dispositif de fonctionner dans les meilleures conditions, pour ses bénéficiaires, entreprise et salariés.
*Les dix organismes assureurs interrogés opérant sur le marché de la retraite supplémentaire d’entreprise, et ayant communiqué le rendement de leur actif en euros pour l’année 2022, représentent 88 % de la collecte en retraite collective, et 82 % de la collecte sur les dispositifs collectifs à cotisations définies.
Plus d'articles du même thème
-
L’assurance-vie accuse le coup après un été en demi-teinte
Le support d’épargne affiche pour le deuxième mois consécutif une décollecte nette supérieure à un milliard d’euros. Les cotisations sur les unités de compte faiblissent comparées à la même période en 2022. -
L'actionnaire d'Eurovita rachète les obligations émises par la compagnie italienne
Cinven rachète 160 millions d’euros de dette Eurovita au fonds souverain GIC et à d’autres investisseurs pour avancer dans le processus de liquidation de l’assureur-vie italien. -
La Carac absorbe Ageas France
Le nouveau groupe représente 13 milliards d'euros d'encours en assurance-vie et retraite.
Sujets d'actualité
ETF à la Une

Les banquiers centraux jettent un froid sur le marché européen des ETF obligataires
Contenu de nos partenaires
-
A boulets rouges
Sophie Binet déclare la guerre aux patrons
La nouvelle secrétaire générale de la CGT joue le rapport de force face aux chefs d'entreprise tant dans les réunions ministérielles que sur les piquets de grève -
Editorial
Climat: le difficile numéro d’équilibrisme du Président
Le chef de l’Etat a beau promettre du concret, de la simplicité, du «positif», la transition écologique est comme le courant électrique : on va invariablement de la borne «plus» vers la borne «moins» -
Tambouille
Loi de programmation des finances publiques: la majorité embarrassée par l'aide du RN
Le parti de Marine Le Pen pourrait s'abstenir sur la LPFP, devenant de fait un allié incontournable de la majorité. Celle-ci réfléchit à l’option d'un 49.3, gênée par l'idée d'afficher une victoire grâce au RN