
Abus de droit : le saut dans l’inconnu du nouvel article L64 a du livre des procédures fiscales

Par Jean-Francois LUCQ, directeur de l’ingénierie patrimoniale de Banque Richelieu
Codifié à l’article L64 du Livre des Procédures Fiscales, l’abus de droit est l’arme qui permet à l’administration fiscale de mettre en échec les contribuables trop imaginatifs.
Toutefois, les cas de mise en œuvre sont étroitement délimités par la loi.
L’incrimination est limitée aux actes fictifs (par exemple, la donation d’un bien à un tiers, déguisée en vente), ainsi qu’aux actes dont le motif est exclusivement fiscal et qui utilisent un texte dans un esprit contraire à la volonté de ses rédacteurs. A la suite d’un amendement d’origine parlementaire, la loi de finances pour 2019 a institué une nouvelle procédure d’abus de droit, codifiée à l’article L 64 A du LPF, où le motif fiscal exclusif est remplacé par un motif fiscal principal. La différence avec le régime existant réside dans l’absence de référence aux pénalités de 40 ou 80 % prévue en matière d’abus de droit. Mais ce serait oublier qu’un autre article du CGI prévoit une pénalité de 80 % des droits dus pour manœuvres frauduleuses. Est-il bien raisonnable de penser que l’administration fiscale n’en fera pas usage dans ce cas précis ?
Une question vient immédiatement à l’esprit : pourquoi le nouveau dispositif fait-il partie intégrante de notre droit positif, sans que le Conseil Constitutionnel ait été amené à l’examiner ? En réalité, le Conseil ne s’est prononcé que sur les sujets jugés litigieux et déférés devant lui par les parlementaires, et faute d’être saisi sur la partie du texte relative à l’abus de droit, il est resté silencieux. Quels sont les dispositifs susceptibles d’être visés par la nouvelle définition de l’abus de droit ? Plusieurs dispositifs classiques d’optimisation viennent à l’esprit. D’abord, les libéralités avant cession, aussi appelées « donations/cessions ». Ces opérations procurent au groupe familial un double avantage : une transmission avant succession, et une économie d’impôt sur la plus-value, la donation « effaçant » la plus-value latente. Demain, l’administration aura toute latitude pour affirmer que le gain fiscal est le motif principal de l’opération. Les opérations de ventes à soi-même, où un particulier cède un bien à une structure (société civile) qu’il détient avec sa famille, seront également dans le viseur de l’administration fiscale. On citera également les décisions de mise en réserve du résultat dans les sociétés au capital démembré, les mises en communauté de biens propres avant donations, ou les apports-cessions. Et la liste n’est pas exhaustive !
Il y a toutefois deux points positifs : d’abord, le nouveau dispositif ne rentrera en vigueur qu’au 1er janvier 2020 ; de ce fait , les contribuables désireux de mettre en œuvre une stratégie globale d’optimisation de leur situation patrimoniale ont jusqu’à la fin de l’année pour la mettre en œuvre sous l’empire des textes anciens, sachant que certaines problématiques juridiques et fiscales (donations/cessions et « ventes à soi-même ») sont aujourd’hui bien éclaircies par la jurisprudence.
Enfin et surtout, tout espoir d’invalidation du texte n’est pas perdu. En effet, le Conseil Constitutionnel peut se prononcer sur la constitutionnalité du texte de loi à posteriori, si une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est portée devant lui par les tribunaux de l’ordre judiciaire ou administratif. Une invalidation du texte (hypothèse la plus favorable) ou une minoration de ses conséquences les plus négatives (par exemple, en faisant une réserve d’interprétation précisant que la pénalité de l’article 1729 alinéa c n’est pas applicable dans le cadre de la procédure nouvelle) dans un proche avenir n’est donc pas à écarter.
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