Ces entreprises françaises qui restent à la manœuvre en Russie

La retraite de Russie n’a pas touché toutes les entreprises tricolores. Loin de là. Un tiers des grandes entreprises françaises recensées dans le pays continue d’y opérer.
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Plusieurs entreprises françaises sont toujours actives en Russie.  -  DR

Un peu plus d’un an après le début de la guerre russo-ukrainienne, l’Union européenne en est à son dixième jeu de sanctions à l'égard de la Russie. La démarche n’a rien d’inédit envers Moscou. Ce 6 mars marque d’ailleurs le 9e anniversaire de l’inauguration par l’Union européenne, en 2014, d’un tout premier train de sanctions contre la Russie. Suite à l’annexion de la Crimée, l’UE avait adopté des mesures restrictives individuelles - comme des gels d’avoirs et des interdictions d’entrer dans l’Union.

Neuf ans plus tard, les pays occidentaux ont à la fois élargi la panoplie des représailles et incité les entreprises à aller plus loin que les sanctions officielles. Ont-elles joué le jeu ? L’éventail des décisions stratégiques des entreprises internationales, y compris les françaises, sur l’avenir de leur présence en Russie demeure très large.

Cinq nuances de retraite de Russie

Comme en témoigne le décompte quotidien établi par l’Université de Yale, l’éventail est très large. Au 6 mars 2023, l’université américaine recense pas moins de 1.583 entreprises internationales qui opèrent en Russie ou s’en sont retirées. Entre celles qui sont parties en prenant leurs pertes ou recherchent activement des repreneurs et celles qui ont décidé de demeurer sur place, en passant par les entreprises tricolores qui ont mis leur activité en sommeil ou simplement réduit la voilure.

Etabli dès les premiers jours du conflit, cet inventaire s’est sophistiqué au fil des mois. L’université américaine est passée d’une logique binaire – partir ou rester – à un inventaire offrant plus de nuances. Cinq catégories sont désormais établies.

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46 % des entreprises françaises ont plié bagage

Parmi les 82 entreprises tricolores présentes sur le marché russe au début 2022, seule une petite moitié (46%) a d’ores et déjà plié bagage ou réduit drastiquement ses activités. Renault, la Société Générale, Schneider Electric : le point commun de ces pensionnaires du CAC 40 ? Tous font partie du club des entreprises françaises qui ont quitté la Russie, en général dès les premiers mois du conflit. Un retrait souvent coûteux avec des factures lourdes, chiffrées en milliards d’euros, à l’image de la Société Générale ou de Renault, ou en dizaines de milliards, comme c’est le cas pour TotalEnergies.

Au total, elles sont 18 à s’être déjà retirées avec, parmi elles, d’autres pensionnaires de l’indice parisien comme Air liquide, Legrand, LVMH, Publicis, Sodexo ou Teleperformance.

Selon Yale, elles sont 20 à avoir réduit drastiquement ou suspendu leur activité, interrompant leurs affaires locales, tout en conservant une option ouverte pour, le cas échéant, pouvoir y revenir. Dans ce groupe, selon le décompte de l’université américaine, pas moins de 14 membres du CAC 40 sont recensés, qu’il s’agisse de groupes financiers - comme Axa, BNP Paribas ou Crédit Agricole –, d’acteurs industriels ou du numérique – Alstom, Capgemini, Dassault Systèmes, Michelin, Safran et Thales – ou de ténors du luxe ou de la beauté – Hermès, Kering ou L’Oréal.

Pourtant, avec moins de la moitié d’entre eux clairement actifs dans leur désengagement russe, les groupes tricolores apparaissent loin derrière leurs homologues américains (71,2%), britanniques (86,7%) ou même allemands (54,4%) en termes de clarification de leurs intentions. Seules les entreprises italiennes font pire (35%).

Continuité

Une majorité d’entreprises françaises présentes en Russie ont opté pour le maintien de tout ou partie de leurs activités. Parmi elles, six entreprises – dont Saint-Gobain, Bureau Veritas, Geodis ou Eutelsat – ont, selon Yale, réduit la voilure, cessant seulement certaines activités tout en en poursuivant d’autres. Elles sont douze à «acheter du temps» selon l’étude, avec la suspension de nouveaux projets d’investissement mais la poursuite de l’essentiel de leur activité sur place. Plusieurs pensionnaires du CAC 40 y figurent, comme Engie, Sanofi ou TotalEnergies, mais aussi des membres du SBF 120 – comme Accor, Seb ou Ipsen. Hors sociétés cotées, Blablacar, Limagrain, Servier ou Yves Rocher demeurent également à la manœuvre.

Enfin, à l’autre bout du spectre, pas moins de 26 entreprises françaises restent donc toujours actives, poursuivant leurs activités locales sans inflexion de trajectoire ni de stratégie. Seules 4,7% des entreprises britanniques, 6,3% des américaines et 18,4% des allemandes recensées en Russie se classent dans ce lot des réfractaires. Parmi les tricolores, seules dix d’entre elles sont cotées, dont trois pensionnaires du CAC 40 – Veolia, Vinci et Worldline – et cinq du SBF 120 – Bic, Bonduelle, Coface, Faurecia ou Valeo.

Classement contesté

La méthodologie de Yale est-elle sans faille ? A voir. Tout d’abord, certaines classifications manquent de précisions. Stellantis et Airbus sont considérées comme des entreprises néerlandaises. Plusieurs géants américains brillent par leur absence dans chacune des cinq catégories.

Ensuite, côté français, plusieurs groupes mis à l’index contestent leur classement. L’assureur-crédit Coface met ainsi en avant une réduction de 87% de son activité en Russie depuis le début du conflit, bien loin du «business as usual» accusatoire de Yale. Tout en soulignant n’y afficher que 0,1% de ses encours globaux, il poursuit les couvertures offertes préalablement à ses clients internationaux et maintient ses capacités de recouvrement.

Le constat est similaire chez Valeo. L’équipementier automobile affiche également une activité divisée par dix dans le pays pour son unique usine locale, dont la valeur a totalement été dépréciée dans ses comptes 2022. Si toute production a cessé pour de nouveaux véhicules, le groupe continue en revanche d’assurer une activité de pièces détachées pour les occasions.

Faurecia conteste également ce classement. L’équipementier automobile a finalisé fin décembre la dépréciation des actifs concernés. A la clé, une facture salée, de 130 millions d’euros sur l’exercice – dont 104 millions pour ramener à zéro la valeur des actifs locaux -, soit un tiers de la perte nette part du groupe de 382 millions l’an dernier. Mais ce « write-off » ouvre désormais la porte à une sortie totale du pays.

Même critique de la part d’Engie à l’égard de son classement par Yale. L’énergéticien français qui a confirmé en septembre dernier la fermeture de son bureau de représentation à Moscou rappelle n’avoir ni « activité industrielle en Russie », ni développement de « projet d’investissement », tout en ayant cessé toute « importation de gaz de Russie depuis fin août ». Bien loin d’un groupe qui cherche à acheter du temps.

D’autres assument plus facilement de ne pas avoir infléchi leur position, comme Auchan ou Vinci. Le groupe de BTP et de concessions souligne ainsi que sa présence en Russie se limite à l’exploitation de deux tronçons autoroutiers dans l’ouest du pays.

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