Industrie propre : le nouveau plan européen a du mal à convaincre

La Commission européenne a présenté jeudi un projet de règlement pour une industrie à zéro émission nette. La faisabilité de ce plan ambitieux est cependant remise en question, faute d’étude d’impact et surtout de moyens financiers.
A Bruxelles
Thierry Breton, commissaire européen, lors de la conférence de presse sur le Net Zero Industry Act  le 17 mars 2023
L’exécutif européen fixe un objectif de production domestique de 40% des besoins européens dans huit technologies ‘zéro émission’ considérées comme stratégiques (Thierry Breton, conférence Net Zero Industry Act du 17 mars 2023)  -  photo European Union

«Nous avons besoin d’un environnement réglementaire qui nous permette d’intensifier rapidement notre transition énergétique. Le règlement pour une industrie à zéro émission nette est l’outil par lequel nous y parviendrons. Il créera les meilleures conditions pour ces secteurs cruciaux pour l’atteinte de l’objectif de neutralité climatique à l’horizon 2050», a affirmé jeudi la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

La prophétie de l’Allemande n’a toutefois pas fait beaucoup d’adeptes dans la bulle bruxelloise. Sur la méthode, le projet de règlement pour l’industrie propre, conjugué à la présentation d’un projet visant les matières premières critiques, confirme certes l’avènement d’une politique industrielle européenne, déjà entrevue avec l’acte sur les semi-conducteurs, toujours en cours de négociation à Bruxelles.

Sous la houlette du commissaire au Marché intérieur, Thierry Breton, l’exécutif européen fixe ainsi un objectif de production domestique de 40% des besoins européens dans huit technologies ‘zéro émission’ considérées comme stratégiques : le photovoltaïque, l’éolien, les batteries, les pompes à chaleur, les électrolyseurs et les cellules à combustible, le biométhane, la séquestration du CO2 (CCUS), ainsi que les technologies de réseaux. Un objectif non appuyé par une étude d’impact, et qui suscite le scepticisme, notamment de la part du think tank libéral bruxellois Bruegel.

Une manière d’envoyer «un message à l’industrie européenne», selon Elvire Fabry, de l’Institut Jacques Delors. «Les objectifs de production fixés pour chaque technologie sont plus ou moins difficiles à atteindre, explique la chercheuse. L’UE n’est pas mal positionnée dans l'éolien ou les pompes à chaleur, mais le défi est plus compliqué pour les panneaux solaires. Dans tous les secteurs il y a un enjeu clé de main d'œuvre qualifiée, ce qui prend du temps ».

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Réponse tiède à l’Inflation Reduction Act américain

Le projet législatif manque toutefois de contenu sur ce point, et se borne à prévoir une accélération de la mise en place des projets. Aux termes de la proposition de règlement, les technologies stratégiques pourraient ainsi obtenir le statut «de la plus haute importance nationale possible», ce qui leur permettrait de réduire le temps d’attente de l’octroi de permis (9 à 12 mois, en fonction de la capacité de production), et les promoteurs de tels projets devraient également recevoir le soutien des États membres et de la Commission pour les obligations administratives.

Une initiative saluée par l’industrie européenne, qui reste toutefois sur sa faim. Selon le lobby éolien Wind Europe, le projet est ainsi «excessivement concentré sur les percées technologiques, plus que sur la mise à niveau concrète des chaînes d’approvisionnement déjà existantes». Dans l’ensemble, les industriels considèrent que ce projet dépourvu de financement ne fait pas le poids face à l’Inflation Reduction Act américain. Ce plan de subventions massives pour le verdissement de l’économie des Etats-Unis (369 milliards de dollars), visant à attirer les relocalisations dans l’énergie ou l’automobile, pourrait priver l’Europe de 25 milliards d’euros d’investissements. En face, la Commission n’a pour l’instant fait qu’alléger l’encadrement des aides d’Etat, faisant craindre une fragmentation du marché unique.

Pour Elvire Fabry, ce plan est à analyser comme une «nouvelle brique» de la réponse de l’UE à l’IRA et à la mainmise de Pékin sur les technologies vertes. «Les Européens font le choix de ne pas dépendre des importations de technologies chinoises, analyse-t-elle. Ils ont la sagesse de le faire en préservant les règles de non-discrimination multilatérale pour préserver un système de régulation et de miser, contrairement aux Etats-Unis, sur un instrument commercial fort. Mais la rivalité sino-américaine nous impose de nous ajuster rapidement aux risques de revoir nos logiciels et de faire grincer les dents des libéraux, frugaux… ».

Scepticisme des libéraux

Ces derniers sont loin d’avoir dit leur dernier mot. «Si nous saluons les propositions de la Commission européenne, il est clair que créer une dépendance aux subventions risque de développer des dépendances destructrices au détriment de notre plus grande force, le marché unique européen, et les PME qui en sont le cœur battant», réagissait ainsi jeudi l’eurodéputée tchèque Martina Dlabajova, coordinatrice du groupe Renew (centriste) en commission de l’Industrie. Une crainte de la course aux subventions qui demeure forte parmi les libéraux et les représentants des petits pays européens, et à laquelle s’ajoute le raidissement des pays du Nord, qui rejettent toute idée de nouvel endettement commun.

La négociation à venir de ce projet de règlement pour l’industrie propre donnera l’occasion aux Vingt-Sept et aux eurodéputés de tenter de surmonter leurs divisions, et aura valeur de tour de chauffe avant la proposition, prévue à l’été, du «fonds de souveraineté» promis par la Commission, mais dont les contours restent à définir. A un peu plus d’un an des élections européennes, la politique industrielle de l’UE reste en chantier.

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