
L’OPA sur April pousse l’AMF à préciser la notion d’action de concert

Y a-t-il action de concert quand plusieurs sociétés du même groupe réalisent des achats de titres en période d’offre ? Vendredi dernier, la commission des sanctions de l’AMF s’est penchée sur les achats de titres de plusieurs structures du groupe Burrus lors de l’OPA de CVC sur l’assureur April en juillet 2019.
Le Collège et la rapporteure de la commission des sanctions reprochent à Christian Burrus et à plusieurs sociétés de son groupe, d’une part Dôm Finance - société de gestion de Dôm Performance Active (DPA), fonds fermé dédié à la famille de Christian Burrus - , et d’autre part les sociétés AFI Esca France, AFI Esca IARD, AFI Esca Holding et AFI Esca Luxembourg, d’avoir manqué à leurs obligations déclaratives d’acquisitions de titres en période de pré-offre et d’offre publique (articles 231-46 et 231-47 du règlement général de l’AMF). Leurs déclarations effectuées simultanément, mais de manière distincte entre Dôm Finance et les sociétés AFI Esca, n’ont pas fait état d’une action de concert induisant ainsi en erreur le marché, explique la poursuite. Ce que conteste la défense, les déclarations de franchissement de seuil ayant été faites en temps et en heure et précisant bien que Christian Burrus contrôlait les sociétés au plus haut niveau.
A l’issue de l’offre, les différentes entités du groupe Burrus détenaient près de 9% du capital d’April. Pour sa part, CVC n’a pas réussi à obtenir les 90% du capital ou des droits de vote permettant de lancer un retrait obligatoire. Les différents titres April acquis par les entités du groupe Burrus ont été transmis à Persée Participation, une société du groupe familial Burrus, qui les a cédés en 2020 à CVC au prix unitaire de 22 euros, contre 21,60 euros offert lors de l’OPA. CVC a alors lancé une offre publique de retrait au prix de 22 euros.
Quid de la politique commune ?
Selon l’article L233-10 du code de Commerce, sont considérées agissant de concert, les personnes « qui ont conclu un accord en vue d’acquérir, de céder ou d’exercer des droits de vote, pour mettre en œuvre une politique commune vis-à-vis de la société ». Avec une présomption entre les sociétés contrôlées par la même personne. Toutefois, cette présomption peut être renversée. Pour le Collège, il n’est pas nécessaire que la politique commune ait trait à la gestion de la société cible, il suffit qu’il y ait une volonté commune des concertistes de gérer au mieux leur participation. Il s’appuie sur un arrêt de la cour d’appel de Paris de 2016, confirmant une décision de la commission des sanctions de 2014. Faire obstacle au retrait obligatoire constitue une politique commune vis-à-vis d’April, selon le Collège.
En revanche, la défense s’appuie sur une décision de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) du 9 septembre 2021 qui distingue le concert contrôlant et le concert de gestion. « Une jurisprudence qui s’impose tant à l’AMF qu’aux juridictions de recours, estime Frank Martin Laprade, avocat associé chez Jeantet, assurant la défense des mis en cause. Une sanction pour défaut de déclaration ne serait possible qu’en cas de politique commune durable ». Or, en l’espèce, le groupe Burrus n’a jamais mené de politique commune vis-à-vis d’April. « En pratique, comme en théorie, rien ne permet de dire qu’il existe une politique commune vis-à-vis de cette société qui n'était pas partie prenante au projet de retrait obligatoire », martèle Frank Martin Laprade, fustigeant une « poursuite sans aucun fondement juridique, où la commission des sanctions est invitée à faire œuvre de jurisprudence».
Si Christian Burrus avait déclaré une action de concert, portant sur les titres détenus par les sociétés AFI Esca et par le fonds DPA, comme il avait initialement l’intention de le faire, il aurait communiqué une information fausse ou trompeuse au marché, poursuit Frank Martin Laprade. Elliott a ainsi été condamné par l’AMF à 20 millions d’euros pour avoir déclaré des contracts for difference (CFD) au lieu d’equity swaps. En effet, DPA, fonds sans personnalité morale, ne peut être membre d’un concert, souligne la défense.
Des sanctions demandées très lourdes
A titre subsidiaire, la défense souligne que ni Christian Burrus, ni Dôm Finance ne détenaient d’actions April. Or, selon la théorie du rapporteur « les titres de DPA sont assimilables à des titres appartenant à Dôm Finance ». Le patrimoine du fonds serait alors assimilable avec celui de la société de gestion (Dôm Finance) en l’absence de tout texte ? s’étonne Frank Martin Laprade. « Carmignac ou la Société Générale devraient assimiler leurs propres titres avec ceux des fonds sous gestion pour les déclarations ? s’interroge Christian Burrus. Je ne veux pas faire les frais de l’évolution de la jurisprudence. J’ai respecté la loi et me suis appuyé sur le meilleur praticien ». Christian Burrus ne cache pas qu’il s’est opposé au projet de retrait obligatoire de CVC, qui « proposait d’exproprier des minoritaires à prix lui permettant de s’enrichir et d’afficher un rendement à deux chiffres ».
En outre, le gendarme boursier reproche à Christian Burrus de s’être immiscé dans la gestion de Dôm Finance, en lui demandant d’acquérir les titres April et de ne pas les apporter à l’offre.
Aussi, le Collège réclame des amendes lourdes à l’encontre des mis en cause : 600.000 euros pour Christian Burrus, 400.000 euros pour Dôm Finance, 200.000 euros pour AFI Esca France, 200.000 euros pour AFI Esca IARD, 200.000 euros pour AFI Esca Holding et 200.000 euros pour AFI Esca Luxembourg. Pour évaluer le quantum de la sanction, l’AMF s’appuie sur la plus-value réalisée, de 1,2 million selon la rapporteure et de 1,6 million selon le Collège, tout en reconnaissant que la plus-value ne provient pas d’avantages retirés des manquements. Au regard du montant, « pour des manquements imaginaires, les bras m’en tombent », ajoute Frank Martin Laprade, constatant que l’AMF prend seulement en compte la faculté contributive du mis en cause.
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