
UBS rachète Credit Suisse pour éviter la contagion

Arrêter l’hémorragie, stopper la contagion. Durant tout le week-end, les autorités suisses, en lien avec leurs homologues européens et américains, ont travaillé à une solution de sauvetage de Credit Suisse, déjà sous perfusion de la banque centrale depuis plusieurs jours et menacé d’une fuite des déposants. Avec l’adossement à UBS qui a été officialisé dimanche à 19h30, c’est une solution nationale, mais privée, que Berne a choisie pour sortir de l’ornière et permettre à la banque de poursuivre ses activités.
UBS, premier gestionnaire de fortune au monde, a accepté de payer 3 milliards de francs suisses (autant d’euros) pour reprendre son compatriote. A environ 0,76 franc suisse, payée en titres à raison d’une action UBS pour 22,48 actions Credit Suisse, le prix offert est bien inférieur au cours de clôture de la cible, vendredi (1,86 franc), lui-même tombé à des niveaux historiquement bas. Il ne représente aussi qu’une fraction de l’actif net tangible de 10,60 francs par action à fin décembre, ce qui fera apparaître comptablement un badwill.
Pour prix de son soutien, UBS a négocié des garanties. Il bénéficiera de 25 milliards de francs de protection contre d'éventuelles dépréciations futures, des ajustements au prix d’achat et des coûts de restructuration qui promettent d'être massifs. Il dispose de protection de 50% supplémentaires en cas de baisse de valeur des actifs non-core, c’est-à-dire dans les portefeuilles de la banque d’investissement. La Confédération a expliqué de son côté qu’elle avait approuvé «une garantie de 9 milliards de francs à UBS afin de réduire les risques que cet établissement encourt du fait de l’acquisition de certains actifs pouvant potentiellement subir des pertes, dans la mesure où ces éventuelles pertes devaient dépasser un seuil déterminé» qui a été fixé à 5 milliards de francs, selon le communiqué publié dimanche soir. Ces garanties seront accordées moyennant une prime, payée par Credit Suisse. Enfin, tant UBS que Credit Suisse disposeront d’un accès aux liquidités de la Banque nationale suisse jusqu'à 100 milliards de francs. La BNS disposera d’un privilège sur ses créances.
UBS estime à 8 milliards de dollars (7,45 milliards d’euros) le montant des synergies de coût attendues de la transaction d’ici à 2027. Le poids de la banque d’investissement ne dépassera pas 25% de ses actifs pondérés par le risque. Le groupe assure qu’il disposera d’un ratio de fonds propres supérieur à 13%. Au passage, la banque ne consultera pas ses actionnaires en assemblée générale sur cette opération.
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Les créanciers privés paieront
Berne a donc choisi de faire payer les actionnaires de Credit Suisse. Ce schéma préserverait l’essentiel sur le plan politique: pas de nationalisation des pertes et de privatisation des profits, alors que la garantie sans limite des déposants de SVB a suscité aux Etats-Unis des critiques vis-à-vis des autorités, accusées de favoriser l’alea moral. Mais la Confédération met quand même l’argent public en risque avec les garanties accordées à UBS.
La pilule promet d’être amère pour Saudi National Bank et son président, dont les déclarations maladroites, le 15 mars dernier, ont entraîné la banque helvétique dans une spirale mortelle. La banque saoudienne était devenue le premier actionnaire de Credit Suisse l’automne dernier avec 9,9% du capital, en y injectant 1,5 milliard de francs… La Qatar Investment Authority avait également participé à l’opération.
Mais les créanciers vont aussi être mis à contribution. Dans les questions/réponses publiées dimanche soir en marge de sa conférence de presse, la Confédération indique prévoir «que les créanciers privés participent aux risques à hauteur de quelque 17 milliards de francs». Selon le document, «une base légale claire a été créée à l’intention de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma) afin qu’une partie des fonds propres réglementaires de Credit Suisse puissent être amortis». Dans un communiqué séparé, la Finma a précisé que le soutien de l’Etat déclencherait un effacement (write-down) de la valeur nominale de tous les titres additional tier 1 (AT1) de Credit Suisse, soit environ 16 milliards de francs.
Les porteurs de dette subordonnée perdraient donc leur mise alors même que les actionnaires en conserveront une partie, ce qui bouleverser la hiérarchie des créanciers. Ce compartiment de marché essentiel au financement des banques risque donc de subir un choc. «Une résolution aurait des implications pour l’ensemble du marché, la place de la Suisse comme centre financier, et les banques d’importance systémique mondiale (G-SIB) puisque Credit Suisse en est une», rappelle Kian Abouhossein, l’analyste de JPMorgan, dans une note publiée avant l’officialisation du sauvetage.
Lourde restructuration en vue
En position de force pour endosser les habits du sauveur, UBS prend de son côté un risque mesuré. Dans la colonne des «moins» : les doutes sur la qualité des engagements hors-bilan de Credit Suisse, le risque de litiges et d’amendes au-delà des provisions de 1,2 milliard de francs déjà constituées, et, last but not least, une banque d’investissement qu’il faudra réduire à la portion congrue. Dans la colonne des «plus» : un réseau bancaire en Suisse, une activité de gestion d’actifs qui gérait 402 milliards de francs d’encours fin décembre, et une banque privée certes affaiblie depuis l’automne par la fuite des grandes fortunes, mais qui reste un joyau. Avec Credit Suisse, UBS affichera 1.500 milliards de dollars d’encours sous gestion.
L’adossement laisse toutefois de nombreuses questions ouvertes. La Swiss Bank de Credit Suisse restera-t-elle dans l’orbite du futur groupe ? Comment la banque d’investissement, dont certaines parties étaient en cours de cession, sera-t-elle liquidée dans le temps ? «Selon nos hypothèses, le coût d’une sortie de la banque d’investissement de Credit Suisse serait de 9,7 milliards de francs suisses après impôt, ce qui est en ligne avec le capital alloué à cette division», note Kian Abouhossein. Comment réagiront les déposants chez Credit Suisse ? Et combien de suppressions de postes la lourde restructuration à venir entraînera-t-elle ?
Il est donc trop tôt pour apprécier les conséquences de ce deal pour UBS, qui serait positif pour le bénéfice par action en 2027. Une chose est sûre, le groupe dirigé par Ralph Hamers concrétise le retournement spectaculaire opéré depuis la crise financière. Au sortir de 2008-2009, UBS était exsangue et accumulait les litiges, en raison de pertes massives dans sa banque d’investissement et des offensives américaines contre le secret bancaire suisse. Le groupe avait dû loger ses actifs toxiques dans une structure de défaisance avec le soutien des pouvoirs publics. Au début de la décennie précédente, il a décidé de s’alléger dans la banque d’investissement et de se recentrer sur la gestion de fortune, quand Credit Suisse tardait à prendre le virage.
Une dizaine d’années plus tard, UBS s’apprête donc à absorber son rival, dans l’urgence, comme JPMorgan l’avait fait avec Bear Stearns et Bank of America avec Merrill Lynch en 2008. Les marchés financiers y verront-ils un signe de panique, ou un motif de sérénité ? Réponse lundi matin.
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